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La guerre russo-ukrainienne est un danger de première catégorie pour l’Europe. Elle remet en cause l’ordre établi suite à la chute du mur de Berlin et de la libération de l’Europe centrale. Ce qui affaiblit les structures bâties dans les années qui suivirent la défaite du IIIe Reich en 1945.
Aujourd’hui, avec le revirement de Washington depuis la prise de pouvoir de Trump, elle symbolise aussi la vulnérabilité de l’Europe à l’entreprise révisionniste et nihiliste du gouvernement américain. En dehors des considérations d’ordre géopolitique et sécuritaire, il existe un lien crucial entre l’évolution de ce conflit et l’avenir politique de nombreux pays de l’Union européenne, voire de l’Union elle-même.
Il y a de nombreuses raisons pour défendre l’Ukraine, à commencer par la protection des pays de l’est de l’Union Européenne et de l’OTAN qui sont menacés par l’expansionnisme russe. Affaiblir l’axe Moscou-Pékin, auquel se greffe souvent Téhéran et Pyongyang, dont les objectifs sont incompatibles avec ceux du monde libre, renforce cette logique de confrontation avec la Russie.
Il existe aussi un argument de politique intérieure
Pour diverses raisons, Poutine, qui porte encore le deuil du grand malheur que fut pour lui la disparition de l’état génocidaire et anti-occidental appelé Union soviétique, est devenu l’idole de l’extrême droite en Europe et aux États-Unis.
Si le journal l’Humanité était le porte-parole de l’URSS, ce sont aujourd’hui les médias Bolloré qui font office de Radio Moscou. Aux États-Unis, le Parti Républicain, celui de Reagan, qui fustigea l’empire du mal moscovite, est maintenant le soutien de l’ancien lieutenant-colonel du KGB.
En Allemagne, c’est « l’Alternative für Deutschland » (AfD) qui travaille pour la Russie. Formant un étrange couple avec l’ancien chancelier SPD, Gerhard Schröder, (lequel, avec quatre divorces et cinq mariages, est assez flexible dans le domaine conjugal). En Europe-Centrale, c’est Viktor Orbán, (dés)honorable correspondant de Poutine au Conseil européen, qui représente les intérêts russes.
Que les alliés de la Russie soient le parti communiste chinois, persécuteurs des chrétiens, et le régime iranien islamo-chiite, soutien du Hamas, ne semble pas préoccuper les partis identitaires et xénophobes que sont l’AfD, le Rassemblement National, le Parti républicain américain et d’autres formations politiques européennes similaires.
Une victoire russe en Ukraine serait donc un succès non seulement pour le Kremlin, mais aussi pour les ennemis de la démocratie libérale en Europe et aux Etats-Unis. On retrouve, sous un autre angle et moins bien structuré, la courroie de transmission datant du Komintern entre les autorités bolcheviques et les partis frères de l’étranger. On se souviendra du bon mot de Guy Mollet pour qui les communistes n’étaient pas à gauche, mais à l’Est, qui maintenant s’applique à l’autre extrémité de l’échiquier politique. Aujourd’hui, ce sont Trump et Le Pen qui sont à l’Est !
Casser la dynamique fascisante qui infuse dans les Démocraties
En revanche, une défaite humiliante infligée à Poutine serait un revers pour les forces d’extrême-droite, à commencer par Donald Trump, qui voient dans le maître du Kremlin un symbole de la puissance de leur vision d’un Occident autoritaire, « chrétien » (on disait « aryen » à une autre époque) et « viril. » Pour eux, Poutine symbolise le « bon vieux temps » face à la modernité féminisée, cosmopolite, et intellectulo-universitaire des sociétés occidentales et, en particulier, des grandes métropoles, plus mondialisés et rétives à l’extrême-droite (Le Pen en dessous de 15% à Paris en 2022, Trump 17% à Manhattan en 2024, AfD en 2025 10% à Francfort contre 20,8% en moyenne nationale).

L’extrême-gauche pâtirait aussi d’une victoire ukrainienne. Ses liens idéologiques avec Poutine sont plus faibles qu’à l’extrême-droite. Cependant, elle voit dans l’Armée russe un allié objectif, pour utiliser un vocable marxisant, contre ce que l’on dénomme maintenant en France le « bloc central, » et surtout contre les « sociaux-traîtres », à savoir la social-démocratie europhile qui ne partage ni le culte d’Hugo Chavez ni celui du Hamas. Elle se retrouve donc dans l’étrange – et ridicule – position d’être du même côté que Trump et Musk.
La question qui se pose est donc de savoir que peuvent les pays européens, essentiellement les membres de l’UE plus le Royaume-Uni et la Norvège. Militairement, ayant fait, à l’exception de la Pologne et des pays baltes, le regrettable pari de ne pas prendre la menace Trump au sérieux il y a huit ans, ils sont moins forts qu’ils ne pourraient l’être. Cela ne veut pas dire, cependant, qu’ils sont sans atouts. Si l’argent est le nerf de la guerre, les nations européennes en ont beaucoup plus que la Russie. Elles ont aussi la capacité de l’isoler et d’augmenter les diverses sanctions. L’Ukraine lutte contre un pays à bien des égards sous-développé, à quelques exceptions près, avec comme seules ressources des matières premières, et vulnérable. Kyiv n’est pas, contrairement à Taipei, face à un pays comparable à la Chine.
De telles actions ne seront pas unanimement favorablement accueillies par les électorats européens. Mais, si elles permettent à l’Ukraine non seulement de se défendre mais aussi d’humilier Poutine et son régime, cela contribuera à moyen-terme à renforcer les forces politiques centristes, à savoir, pour utiliser la nomenclature française, de la droite républicaine à la gauche de gouvernement. C’est la pusillanimité de la riposte occidentale, qui n’a pas transformé l’essai après l’échec du premier assaut russe en 2022, qui a introduit le doute dans l’esprit des nombreux Américains et Européens. Si une action concertée et efficace, avec l’appui d’autres alliés (Japon, Australie) permet de mettre clairement Poutine en échec, et de rendre la tâche de ses alliés (de facto Trump) plus difficile, on peut imaginer une issue favorable.