Partager cet article
L’article de Frédéric Arnaud-Meyerbrille par son énergie, mais pèche par son excès. Oui, les géants américains de la tech exploitent nos lenteurs réglementaires ; oui, l’Europe se complaît trop souvent dans une rhétorique de précaution. Mais réduire la situation à une manipulation diabolique, c’est céder au confort du complot plutôt que d’affronter la complexité. C’est ce que nous explique Sylvain Lévy pour sa première contribution à Sans Doute. Le débat est lancé.
Première critique : la régulation n’est pas qu’un piège. Elle peut être instrumentalisée, certes, mais elle répond aussi à une exigence démocratique : protéger les citoyens contre des technologies dont les conséquences sont incalculables. Faire de l’AI Act une pure arme américaine revient à ignorer les débats de fond sur la vie privée, la transparence ou la responsabilité. La prudence n’est pas toujours faiblesse ; elle peut être vision.
Deuxième critique : l’Europe n’est pas seulement victime. Parler de colonisation cognitive, c’est oublier que nos élites et nos entreprises trouvent aussi leur compte dans cette dépendance. L’iPhone dans l’amphi n’est pas un symbole d’aliénation, mais un choix assumé par des millions d’Européens. Le vrai problème n’est pas l’hégémonie américaine, mais notre incapacité à produire des alternatives désirables. Les smartphones actifs dans le monde sont près de 7,21 milliards d’appareils. Les fabricants européens ne pèsent quasiment rien à l’échelle mondiale.

Ce n’est pas une soumission imposée, c’est une préférence intériorisée.
Troisième critique : la résistance n’est pas une promesse abstraite. Mistral, Aleph Alpha, Hugging Face ou d’autres montrent qu’il existe une vitalité européenne. Mais la survie de ces initiatives dépendra moins des incantations politiques que de notre capacité à investir massivement, à fédérer les talents, à créer des écosystèmes compétitifs. Crier à la manipulation américaine est une distraction commode ; l’enjeu est de savoir si nous avons la volonté d’agir autrement.
L’art me rappelle cette leçon : il est trop facile d’accuser le marché de privilégier New York, Londres ou Hong Kong. Le vrai défi est de bâtir des scènes alternatives, crédibles, attractives. Le DSLcollection l’a appris : exister, ce n’est pas se plaindre du centre, c’est inventer sa propre périphérie.
Alors oui, l’Amérique vend du vent. Mais si ce vent nous emporte, c’est aussi parce que nous avons cessé de tenir la barre. La critique la plus salutaire n’est pas celle des autres, mais la nôtre.