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Comme un jeu dans un casino, comme une boule jetée qui roule et tourne, comme un tapis de cartes masquées, comme un match sans fin, le jeu s’impose dans la pratique politique et médiatique. Les deux sont devenus duos, partenaires et adversaires mais liés dans la frénésie des annonces et des propos. Ça bluffe, ça prétend, ça affirme, ça hausse le ton les yeux dans les yeux des écrans multipliés.
Un professeur de droit constitutionnel à qui l’on demandait sur BFM un mot pour qualifier la situation a dit : shadokien ! Les Shadoks qui pompaient, pompaient, pompaient…mouvement incessant et absurde !
Incessant, le bruit politique national parisien suscite (il suffit d’aller dans les marchés, les salons du livre, les centres commerciaux des villes moyennes), une dangereuse indifférence et le ressentiment d’être méprisé. Le Jeu a commencé en 2017 avec la ruée des En Marche débordant les règles habituelles des idéologies de droite et de gauche, avec des meetings où Emmanuel Macron ivre d’une victoire annoncée hystérisait d’une voix éraillée un public de militants proche d’un club de fans de foot. Les Jeux était lancé, stupéfiant l’électorat aussitôt conquis. On parlait ruissellement (l’argent des riches profiterait aux plus pauvres), on annonçait zéro sdf, avenir tech pour tous et jeunesse heureuse…
Le Joueur devenu Président (c’est son père qui usa de ce qualificatif) tenta des bras de fer avec Trump, des rapports à vifs avec maints pays africains, des ruptures dans l’Hexagone. On se bousculait pour apercevoir le phénomène. Un joueur est une personne qui fait un pari, qui ose, qui tente un coup, il n’agit pas par la raison, l’analyse à long terme, il est dans l’urgence des mots, des signes, des décisions et tant pis si cela échoue.
Le Jeu a duré cinq ans, puis faute d’offre plus alléchante le Jeu a continué mais cette fois sans l’illusion d’une victoire. D’autant que le contexte sanitaire et international a bouleversé l’enceinte diplomatique.
Joueur, Emmanuel Macron n’a pas de conviction en politique, il avance « à effets immédiats » des décisions hiératiques, des explications de bon sens apparent mais dénuées de fondement. Là réside cette impression de chaos permanent, d’actes à l’emporte-pièce, presque désinvolte. Joueur il réussit en matière de chômage, d’industrialisation, joueur il perd à l’international son aura puisqu’impopulaire en son pays. Il se remet en selle avec l’Ukraine et plus récemment avec la Palestine. Mais tout ceci et cela ne fait pas une histoire politique. Toute une connaissance et intelligence économique ne fait pas une cohérence de présidence. L’humaine condition d’un peuple suppose le partage des idées, le choix de vivre à hauteur de femmes et d’hommes. Il ne suffit pas de recevoir des opposants encore faut-il écouter, comprendre, accepter aussi les idées des autres. Ce Jeu auquel nous sommes soumis a durablement fracassé les têtes citoyennes.
Les médias en continu et les réseaux sociaux se sont repus du spectacle offert, ajoutant aux errements gouvernementaux et aux batailles d’égos un environnement de commentaires, diatribes, accusations, diffamations, excès de langage souvent orduriers destinés à faire là aussi le jeu du pire ; c’est-à-dire celui de l’invective permanente, de l’affrontement. Le joueur présidentiel sûr de lui et accroché à son palais est de la même famille (toute proportion gardée) que le joueur médiatique hurlant touche pas à mon poste.

La période que nous vivons depuis 2017 est celle d’une impatience, d’une incapacité à parler normalement, aux replis des communautés économiques, sociales, religieuses…Et comment ça tient ? Eh bien par une formidable vie associative, une énergie dans chaque commune pour aider, accompagner, proposer des activités sociales, sportives, culturelles au niveau local. C’est le monde associatif qui nous sauve et nous honore. C’est à partir de ces expériences de terrain que doit renaitre un sens politique concret, pas uniforme car les convictions doivent prendre le pas sur les certitudes.
Le débat politique ne peut plus un être un jeu. La violence vécue et outrageusement diffusée, les difficultés d’accès aux soins, les pénuries qui touchent l’enseignement et surtout l’aveuglement sur l’urgence climatique méritent que l’on cesse le Jeu pour recommencer à créer les conditions d’une vie collective respectueuse. La belle idée du Service public (en toutes matières, sociale, médiatique, infrastructures) est à cet égard fondamentale. Ceux qui réclament sa fin sont des joueurs dangereux.
L’An 01 jadis (année 68) supposait de s’asseoir et de réfléchir. Le présent capharnaüm exige de chacun un recul, une pause, une écoute…éteindre des écrans, converser avec tous. Les horreurs en Palestine ou en Ukraine doivent aussi calmer les comparaisons. Il y a dans le monde des malheurs tellement plus grands. Ce qui n’obère pas la possibilité de s’engager sous maintes formes (syndicales, associatives) pour faire cesser ce Jeu et remettre du débat politique légitime là où la transe médiatique ne pourrait plus se repaître. Sans doute manque-t-il une génération d’élus susceptibles qu’elles que soient leurs visions idéologiques de résister à la tentation trumpiste de l’éclat permanent, du coup de force, d’une envie virile de domination.
Il y a quelque chose de sauvage dans ces moments brouillons et affligeants de controverses politiques. Et cette forme de sauvagerie imprègne la vie quotidienne, les rapports entre chacun. Et cependant je le ressens à chaque rencontre ici et ailleurs il existe partout en France des lieux actifs d’accueil et de créations. C’est là que j’y puise de quoi vivre en empathie avec mes semblables.