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Outrance sans conscience n’est que ruine du peuple. C’est ainsi, qu’en paraphrasant Rabelais, on pourrait intituler le véritable cri d’alarme du journaliste – et ancien rédacteur en chef de France Inter – Patrick Boyer. Dans cette première tribune pour Sans doute, il met en parallèle deux hystéries : de droite et de gauche qui, comme c’est souvent le cas, finissent par se rejoindre dans un totalitarisme que les peuples, avides de « renverser la table », n’ont pas vu venir. Oubliant qu’une matraque, qu’elle soit de droite ou de gauche, reste une matraque.
En France comme en Amérique l’avènement de la Société du Spectacle se traduit par un ensauvagement du débat public. Cette nouvelle manière de faire de la politique engendre de nouveaux acteurs et repose sur une vision dégradée du Peuple.
Les Français ne connaissent pas Matt Gaetz, Marjorie Taylor Greene, Lauren Boebert. Les Américains ne connaissent pas Andy Kerbrat, Sandrine Rousseau, Sébastien Delogu. En fait si : ce sont les mêmes. Élus sans qualification particulière, ils siègent aux extrêmes (à gauche ici, à droite là-bas), ne produisent aucun travail législatif, sont des bateleurs shootés aux réseaux sociaux et aux chaînes infos.
Jeune Représentant de Floride, Matt Gaetz a été impliqué dans une relation avec une mineure de 17 ans et dans un trafic d’escortes. Ce devrait être rédhibitoire pour un Républicain. Qu’à cela ne tienne, Gaetz déclenche une procédure de destitution (« motion to vacate“) du Speaker de la Chambre, Kevin McCarthy, par sa propre majorité républicaine, afin de le remplacer par encore plus à droite et encore plus trumpiste. Psychodrame au Congrès puisque Gaetz obtient le scalp du Speaker, une première dans l’histoire américaine. Matt « sweet little seventeen » vient d’être réélu. Il a démissionné aussi sec, Trump l’ayant désigné dans la foulée comme son futur Attorney General… (ministre de la Justice). Mais la provocation était si énorme qu’elle n’a tenu que huit jours.
Andy Kerbrat ne s’en est pas mal tiré jusqu’à présent. Étendard LGBT/Chemsex, le Pierre Palmade de « La France Insoumise » a acheté du 3-MMC à un dealer mineur. So what ? Il est immédiatement présenté comme un malade qui se soigne. Sandrine Rousseau lui enjoint de ne pas démissionner. La presse de gauche est aux petits soins. Bien sûr si Kerbrat avait été un élu du camp Macron, les mêmes auraient déjà réclamé -et obtenu- sa démission de l’Assemblée.
Bagoût, vulgarité, conspirationniste en série, Marjorie Greene Taylor est la Drama Queen Absolute de la Chambre et de Fox News. Elle confond d’ailleurs les deux entités. Elle n’a pas tort : Trump vient de choisir un animateur de Fox News comme futur Secrétaire à la Défense ! Au printemps, Marjorie a essayé d’éjecter le nouveau Speaker Républicain Mike Johnson (motion to vacate, remember ?) pour le remplacer par encore plus à droite et plus trumpiste (mais là, Trump a trouvé qu’elle en faisait trop). Ce n’est que partie remise. Dans sa célèbre photo de campagne, l’élue de Géorgie pose dans un pick up devant le Capitole avec un fusil d’assaut M15 dans les bras.
Sandrine Rousseau, on ne la présente plus. En état d’ébriété médiatique permanente, la plus mélenchonienne des écolos campe H24 dans les studios radio/télé, parle de tout et de rien, du barbecue viriliste à l’embellissement par le voile, sous les encouragements des journalistes qui lui offrent open bar, en buvant ses paroles.
La sémillante Lauren Boebert n’a qu’une passion publique : les armes à feu. Elle a longtemps tenu un restaurant « Shooters Grill » à Rifle, Colorado (ça ne s’invente pas) où les serveuses avaient un colt chargé à la ceinture ! Forte de cette notoriété, elle a été élue. S’est faite filmer devant le Congrès avec son Glock, a refusé en entrant de passer son sac au détecteur de métaux. Re-psychodrame. En séance, elle a été traitée de « little bitch » par Marjorie Taylor-Greene, sa rivale en trumpisme.
Fusil mitrailleur vert brandi sur fond jaune : Sébastien Delogu aurait pu se draper dans les couleurs du Hezbollah à l’Assemblée. Il a préféré le drapeau de la Palestine qui a suffi à sa gloire. On s’est aperçu ensuite qu’il ne savait pas lire. C’est un détail. La Palestine est devenue une rente de situation pour Mélenchon. Le keffieh de Rima Hassan et le drapeau de Delogu ont fait le job : LFI a fait un carton en Seine-Saint-Denis.
Ne pas croire que ces profils singuliers soient ici et là-bas des accidents de l’Histoire ou des erreurs de casting. Ils sont légions dans le camp Trump comme chez les Insoumis. Ici, le recrutement est délibéré et là, la sélection naturelle se fait via les primaires. Chez nous, il y a même des formations ad hoc. Louis Boyard a fait le Cours Hanouna, Aymeric Caron le Cours Ruquier.
Si n’importe qui peut être journaliste sur les réseaux (même anonymement : c’est le journalisme sous X), n’importe qui peut être élu.
Il suffit d’appliquer certaines recettes de base, synthèse de « l’infotainment » à l’américaine et de la « conflictualisation » permanente selon Chantal Mouffe. « A l’insu de son plein gré » car agissant selon sa propre intuition, Mélenchon est le Monsieur Jourdain du trumpisme. Il suit à la lettre le « playbook » du Président américain : assumer sa part de théâtre, sortir une énormité, ne jamais revenir en arrière, « double down » : doubler la mise.
Au siècle dernier (autant dire dans l’Antiquité de la politique), Bernard Tapie et Le Pen père avaient ouvert la voie. Le Pen fille se garde bien de les suivre. Elle sait qu’elle aussi a des énergumènes dans son groupe. Elle leur impose cravate et abstinence médiatique. Cela s’appelle de la Contre Programmation. Maintenant, elle fait de la sous-traitance : les Insoumis travaillent pour elle.
Titré « Enfin une Assemblée qui nous ressemble », un dessin de Charlie Hebdo avait campé l’arrivée des premiers Insoumis au Palais Bourbon il y a sept ans : une troupe hirsute et dépenaillée qui demande d’une seule voix : « C’est par où la buvette ? » Dans l’hémicycle ils sont braillards et débraillés pour faire Peuple. Ils mettent le ÇA sur la table, au risque de la renverser. Pour la grande joie de ceux des spectateurs qui vont à la politique comme, enfants, ils allaient à Guignol.
Et c’est là qu’est le point de bascule. On peut penser que ces députés trahissent leur mépris de ceux qu’ils représentent. Mais on peut aussi concéder qu’il y a un public pour cela. Qui réclame des gladiateurs dans l’arène. D’ailleurs ces ultras trumpistes et ces insoumis énervés ont tous étaient réélus cette année. L’électorat est comme mithridatisé à l’outrance. Cette manière nouvelle ne serait donc que primitive ? Symptôme de la pulsion régressive qui saisit la politique devenue un spectacle comme un autre. Qui requiert un happening permanent.
Dans ce cas, pour orchestrer le bruit et la fureur, rien de tel que des bêtes de scène. En Argentine Javier Milei brandit une tronçonneuse et il est élu. Trump parade dans un camion poubelle et il est réélu. Mélenchon se multiplie en hologrammes imprécateurs. Il ne sera pas élu car la gauche est structurellement minoritaire chez nous. Jouant la politique du pire, son rêve est une fois Marine Le Pen devenue Reine de France (vu son âge à lui le plus tôt est le mieux ; il s’y emploie) il incarnera seul l’Opposition de Sa Majesté et sera le recours.
Pendant la Révolution les sections parisiennes venaient armées écouter Marat aux Cordeliers ou Robespierre aux Jacobins. Parfois des coups de feu retentissaient dans le couvent des Cordeliers. On tirait en direction du toit où des chouettes attroupées faisaient du raffût, couvrant la voix des orateurs. Les volatiles s’échappaient mais il arrivait que, touché par la mitraille, un saint de plâtre bascule de sa stèle et se fracasse dans les travées. Aujourd’hui, c’est la Démocratie Représentative qui bascule sous l’effet des artisans du chaos.