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La fiction a longtemps été un miroir de la politique. Elle en racontait la grandeur et les petites bassesses. Aujourd’hui, par un étrange renversement, c’est la politique qui semble devenir le prolongement de la fiction… Une nouvelle génération a ainsi grandi avec The West Wing, House of Cards ou plus récemment Baron Noir.
Ces récits, prismes déformants de la réalité, ont servi de romans d’initiation à de jeunes gens pour qui la politique n’avait plus la même saveur qu’avant. Finis l’engagement sur le terrain, l’apprentissage en local avant les responsabilités nationales : tout est devenu manigance d’antichambre.
Puis Donald Trump est arrivé. Et tout a basculé vers autre chose. Avec lui, nous ne sommes plus dans une série dont l’intrigue se déroulerait sur plusieurs saisons. Nous sommes dans un cartoon permanent. L’exagération, voire le grotesque, deviennent la norme, à grand renfort d’un langage qui se simplifie à l’extrême : slogans, insultes, onomatopées. Les mimiques remplacent les arguments. Le buzz tient lieu de programme. Et le pouvoir, lui, devient un spectacle dont la seule cohérence est la viralité. On gouverne comme on tweete : vite, fort, court. On se fiche d’être compris pourvu que l’on soit partagé.
Et Musk, dans tout ça ? Comme Trump ! Un personnage presque aussi caricatural que le fameux « Gru », héro de Moi, moche et méchant. Lui veut, non pas voler la lune, mais partir à la conquête des étoiles…
Tout comme « Gru », Musk possède un certain nombre d’engins roulants et autres vaisseaux spatiaux. Et lui aussi n’hésite pas à anéantir – non pas avec des armes, mais à grands coups de milliards – tout ce qui peut se dresser sur son passage. Lui aussi, enfin, est entouré d’une légende : depuis le récent et inexplicable œil au beurre noir jusqu’aux rumeurs persistantes de prises de drogues dures. Ce qu’il « vend » c’est une vision du monde où la règle est dictée par celui qui parle le plus fort, qui choque le plus souvent, qui ridiculise le plus vite.
L’image de son fils, 4 ans, faisant le show dans le bureau ovale, et au passage ridiculisant, selon toute vraisemblance, un Donald Trump pris à son propre piège, ou encore de son père qui, il y a quelques jours, exprimait son admiration pour Vladimir Poutine, viennent grossir le trait : Musk dépasse la fiction. Il a été, tour à tour, sauveur de l’humanité, provocateur de génie, enfant capricieux, dictateur de ses propres plateformes. Il est le « méchant » dont on s’amuse, jusqu’à ce qu’il impose ses règles du jeu.
Drôle de spectacle que nous donne, ici, la démocratie américaine. Drôle et inquiétant. Sommes-nous, nous aussi, Européens, appelés à subir cette cartoonisation de la vie politique avec l’émergence de personnages fantoches comme l’a si bien analysé Giuliano Da Empoli ? C’est fort probable. Si notre scène politique continue d’être un champ de ruines incapable de faire renaître un espoir, alors la démocratie se transformera en grand écran. A une différence : quand on s’enferme dans une salle de cinéma, ou quand on s’installe devant sa télé, on sait bien que « c’est pour de faux ». Là, ce sera « pour de vrai », c’est-à-dire la dévitalisation de nos démocraties.
Comment y échapper ? En aidant chacun à accéder à la complexité des choses. L’école a, un défi énorme devant elle. Elle doit, dans un monde de la désinformation, des contre-vérités, inventer le citoyen-éclairé du 21e siècle. La classe politique a quant à elle une immense responsabilité : celle de se remettre au travail, et de refuser la facilité de la bouffonnerie.