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ou Comment J’ai Voulu Tokeniser les Mensonges MaGa
Dateline : Entre un diner crasseux de Floride et un serveur blockchain à Dubaï, 10 mai 2025
Mensonges politiques
La bourse de la post-vérité
L’or naît du bullshit

Le soleil de Floride est une punition divine. Il tape sans merci sur le parking du All-American Diner où je suis planté comme un con, milkshake au bourbon à la main. Ce truc goûte le désespoir américain distillé en fût de chêne et le regret sucré à 40 degrés. Autour de moi, des pick-up rutilants bardés d’autocollants « MAGA 2024 » — vestiges d’une guerre culturelle que personne n’a gagnée. Le jukebox crache du Springsteen, comme si ça pouvait encore sauver quoi que ce soit.
Merde. C’est là que l’idée me frappe. Pas comme une inspiration gentille — comme un bourbon cul sec. MagaMyth. Une cryptomonnaie dont l’économie serait entièrement basée sur la monétisation du mensonge politique. Pas un gadget — un putain de système économique complet. Le Yi-King m’avait averti ce matin même quand j’avais lancé les pièces sur le lit d’hôtel : hexagramme 29, l’Abîme. « Attention à ce que tu invoques, connard. » J’ai ignoré l’avertissement. Évidemment.
## Acte I : Genèse
Marché des futures
Chaque mensonge a son prix
L’absurde rapporte
Tout a commencé sur un thread X — un de ces égouts numériques où des types aux avatars de Pépé la Grenouille défendaient des « faits alternatifs » avec la ferveur de croisés digitaux. J’ai réalisé qu’il y avait là un marché inexploité : la financiarisation directe de la désinformation.
Trois gorgées de bourbon glacé et deux comprimés de caféine plus tard, j’ai esquissé l’écosystème complet. La MagaMyth ne serait pas juste une crypto qui naît des mensonges — ce serait une bourse de la post-vérité avec trois mécanismes de création de valeur imbriqués.
Premier niveau : chaque mensonge vérifié d’un politicien MAGA génère un nombre limité de tokens, créant une rareté prévisible. Comme le Bitcoin, mais au lieu du minage par calcul, c’est le minage par bullshit. Un mensonge = X tokens, avec un plafond d’émission décroissant sur le temps.
Deuxième niveau, le jackpot : un marché de prédictions décentralisé où les utilisateurs parient sur QUELS mensonges seront prononcés, QUAND, et par QUI. Des options sur le mensonge futur. « Je parie 50 MagaMyths que le Sénateur X dira que l’immigration est à son plus haut historique avant vendredi. » Si tu gagnes, tu rafles la mise. Chaque nouveau mensonge devient un événement financier.
Troisième niveau, le génie pervers : des « mensonge pools » — comme des pools de liquidité dans la DeFi — où les investisseurs peuvent miser sur des CATÉGORIES de mensonges. Le pool « Économie », le pool « Immigration », le pool « Élections ». Selon la fréquence des mensonges dans chaque catégorie, les rendements fluctuent. Tu fournis de la liquidité au pool « Climat », et chaque mensonge niant le changement climatique te rapporte un pourcentage.
J’ai gribouillé comme un dément sur une serviette poisseuse. MagaMyth, smart contracts, tokenomics. Le bullshit comme nouvelle classe d’actifs.
Pas une crypto — un écosystème financier parallèle. L’hexagramme 1 du Yi-King vibrait dans ma tête : le Créatif, la force primordiale qui transforme le néant en richesse. Littéralement.
## Acte II : Équipe
Oracles blockchain
Le codeur capture le vent
Le mensonge paie
J’ai rassemblé une équipe de marginaux, car seuls les fous peuvent bâtir une nouvelle Wall Street sur des fondations de sable rhétorique. Crypto Carl — un dev blockchain barbu qui a travaillé chez ConsenSys avant de tout plaquer pour vivre dans un van. Sa mission : architecturer un système d’oracles blockchain qui convertirait les fact-checks en données financières exploitables.
« Le truc, » expliquait Carl entre deux taffes d’une cigarette suspecte, « c’est qu’on va créer un système de vote distribué où des milliers de fact-checkers validés peuvent confirmer ou infirmer des déclarations suspicieuses. Chaque validateur met en jeu ses propres MagaMyths comme garantie. S’ils valident correctement, ils gagnent une commission. S’ils se trompent, ils perdent leur mise. »
Sasha la Satiriste — une artiste punk reconvertie en UX designer — construirait l’interface utilisateur qui ressemblerait à un Bloomberg Terminal de la post-vérité. « On veut que ça ait l’air sérieux, » insistait-elle, « que même les hedge funds tradent ça sans ironie. »
Et Donny Two-Promesses — un ancien trader de JPMorgan viré pour paris excessifs — structurerait les produits dérivés basés sur notre index de mensonges. « On peut créer des futures sur le taux de mensonges mensuel, » s’extasiait-il. « Des options sur la probabilité qu’un politicien particulier batte son record personnel de conneries en une interview! »
Notre QG ? Un Airbnb miteux à Miami où la clim rend l’âme toutes les trois heures. C’est là, entre des murs lépreux et sous un ventilateur asthmatique, qu’on a conçu le White Paper le plus lucratif et le plus perturbant jamais écrit.
« Tokenomics de la MagaMyth », page 17 : « Les frais de transaction de 0,5% sur chaque pari sont redistribués comme suit : 0,2% aux détenteurs de tokens qui ont staqué leurs MagaMyths, 0,2% au trésor de la DAO pour financer les fact-checkers, et 0,1% brûlés pour assurer une déflation progressive. »
L’hexagramme 38 du Yi-King dans toute sa splendeur : l’Opposition qui devient révélation. Le mensonge transformé non seulement en transparence, mais en moteur économique.
## Acte III : Lancement
Traders voraces
Le mensonge devient ressource
Wall Street s’incline
Le jour du lancement, c’était l’apocalypse version Miami Beach. Un entrepôt désaffecté de Wynwood transformé en salle de marchés alternative, avec des écrans géants affichant en temps réel le flux de mensonges détectés et leur impact sur les cours. La foule? Un mélange explosif de crypto-bros, de traders désabusés de Wall Street en quête d’alpha, et de journalistes politiques flairant le prochain scandale financier.
Je monte sur scène, portant un costume bon marché et un verre de bourbon à la main. Le micro grésille quand je commence mon sermon : « MagaMyth n’est pas un token satirique — c’est un nouvel actif financier! Nous avons créé un marché où l’inefficacité informationnelle de la politique devient enfin une source de rendements. Si les politiciens vont mentir quoi qu’il arrive, autant que quelqu’un en profite! »
Un écran géant derrière moi s’illumine soudain. Un politicien MAGA en direct sur NewsMax vient d’affirmer que l’inflation était à son plus bas depuis 50 ans. Trois secondes plus tard, nos fact-checkers confirment le mensonge, le système bipe, et BOOM — 50 nouveaux tokens MagaMyth sont générés en direct. Mais ce n’est pas tout : quelqu’un avait parié 500 MagaMyths que ce mensonge précis serait prononcé aujourd’hui. Son gain apparaît sur l’écran : 12 000 MagaMyths, soit environ 24 000 dollars au cours du jour.
La foule devient dingue.
En une semaine, la valeur de la MagaMyth a explosé. Les politiciens continuaient à mentir, ignorant qu’ils alimentaient désormais une économie parallèle florissante. Des bureaux de trading ont commencé à embaucher des « analystes politiques » capables de prédire les prochains mensonges probables. Des hackers tentaient d’accéder aux téléprompters des chaînes d’info pour avoir une longueur d’avance.
Bloomberg publiait un article: « MagaMyth : Comment la désinformation est devenue la classe d’actifs la plus performante de 2025 ». Un fonds spéculatif de Greenwich enregistrait des rendements de 340% en pariant sur la fréquence des mensonges économiques pendant la campagne.
L’hexagramme 55 du Yi-King nous souriait, narquois : l’Abondance. Le pic avant la chute inévitable.
## Acte IV : Crash
Le silence est d’or
Les menteurs changent stratégie
Le marché s’effondre
La réalité est venue nous percuter comme un 18-roues lancé à pleine vitesse sur une autoroute glacée. D’abord, une avalanche de lettres d’avocats pour « manipulation de marché par incitation à la désinformation ». Puis, un email de la SEC et de la CFTC — aussi sec qu’un bourbon sans glaçon : « Cessation immédiate de cette bourse de dérivés non autorisée. »
Mais le coup fatal vint d’où on ne l’attendait pas : le marché s’est autorégulé de la pire façon possible. Des politiciens ont commencé à investir massivement dans notre système, puis à manipuler délibérément leurs propres discours pour déclencher des gains sur leurs positions. D’autres ont adopté une stratégie de silence radio pour faire s’effondrer la valeur des paris placés contre eux.
Un sénateur MAGA a été surpris par un micro ouvert disant à son assistant : « Ne dis pas ça aujourd’hui, j’ai short le pool Immigration sur MagaMyth. »
À 3h17 du matin, Carl m’appelle, voix brisée par la panique et trois jours sans sommeil : « On est dans la merde. Les prix sont complètement manipulés. Notre système d’incitations est devenu un monstre. » La MagaMyth avait créé un effet de feedback pervers où le marché du mensonge influençait désormais la production même de mensonges.
Pire : des groupes organisés infiltraient nos pools de fact-checkers, validant des vérités comme mensonges pour déclencher artificiellement des émissions de tokens et faire grimper leurs positions longues.
L’hexagramme 36 nous enveloppe de son ombre : l’Obscurcissement de la Lumière. La lumière vacille, s’éteint. Rideau.
## Acte V : Héritage
Le miroir brisé
Dans chaque éclat, une leçon
L’oracle survit
Trois mois plus tard. La MagaMyth survit, mais pas comme nous l’avions prévu. Après l’effondrement du cours et les multiples enquêtes fédérales, notre DAO a voté pour transformer le protocole en un « indice de confiance » public et non-profitable. Le MagaMyth Index est désormais cité par des économistes et des politologues comme un baromètre de la fiabilité du discours public.
Carl travaille maintenant pour une ONG qui développe des outils de vérification décentralisés. Sasha a transformé les visualisations de données de MagaMyth en une exposition permanente au MoMA intitulée « Post-Truth Capitalism ». Donny purge une peine légère pour délit d’initié — il avait un peu trop parié sur des mensonges qu’il savait imminents.
Quant aux investisseurs? Certains ont perdu gros. D’autres, plus malins, ont réalisé que le vrai produit n’était pas la MagaMyth elle-même mais les données massives générées sur les patterns de désinformation. Ils ont vendu ces insights à des cabinets de conseil politique qui les revendent aux mêmes politiciens qui produisaient les mensonges initiaux. La boucle est bouclée.
Je suis revenu au All-American Diner. Même siège, nouveau milkshake bourbon, même goût de défaite sucrée. Mais une certitude m’habite : MagaMyth a créé un précédent. Quelque part, à l’heure où je parle, d’autres projets crypto naissent qui tentent de tokeniser d’autres externalisations négatives de notre société — la pollution, la haine, la confusion.
La vérité a un prix
Le marché connaît désormais
La valeur du vide
Alors levez vos verres de bourbon et vos wallets vides à la gloire éphémère de MagaMyth. Elle n’a pas rendu l’Amérique plus grande, mais elle a rendu sa politique plus chère. Pour la première fois dans l’histoire, mentir avait un cours boursier visible par tous. Et peut-être, juste peut-être, cela a-t-il fait hésiter quelques politiciens avant de débiter leurs conneries habituelles.
Transmission terminée depuis la Route 66 digitale, où l’hexagramme 64 du Yi-King continue de clignoter comme un néon défectueux : Avant l’Accomplissement. Toujours en équilibre précaire entre le chaos et la révélation, entre la financiarisation de tout et la valeur ultime de la vérité nue.”