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Voilà une connexion inhabituelle que nous propose Jean Brousse pour Sans doute. Mais c’est pour une bonne cause que notre poète corrézien a fait quinze heures d’avion et quelques escales. Après tout, c’est à peine plus du double de temps nécessaire pour rallier Paris depuis Uzerche, sans compter les retards légendaires de la SNCF. L’occasion, surtout, d’un nouvel émerveillement comme seuls les poètes en ont le secret.
Votre corrézien délaisse provisoirement, mais non sans angoisse, son antique train Corail préféré pour les sièges accueillants d’un Airbus A380 tout neuf en direction de la mystérieuse Asie.
Paris, Dubaï, Singapour, Kuala Lumpur … quinze heures de vol quand tout va bien, quand même ! Sans compter les départs retardés, les correspondances acrobatiques et les circuits improbables entre les terminaux imbriqués des grands aéroports, certes confortables, mais inaccessibles. On met plus de temps à trouver sa porte d’embarquement qu’à atteindre sa destination, magie de l’extrême modernité.
Les avions sont formidables, les salons des compagnies aériennes accueillants, les boutiques « Duty free » aguichantes, mais le temps perdu aux contrôles sans doute nécessaires gâche évidemment la fête … La féérie des voyages internationaux se brise aux confins des exigences de la police des frontières où la dure réalité abime gravement le rêve. Les « portiques » n’arrêtent pas de sonner. Il en est ainsi de notre siècle prometteur où la science-fiction télescope les rigidités héritées d’une époque révolue.
Deux ou trois « bloody mary » plus loin – c’est meilleur que la mélatonine – le ciel noir devient amical et les turbulences imperceptibles. Nous atterrissons en escale à Dubaï, aéroport démesuré, plaque tournante du trafic aérien entre l’Europe et l’Asie, vivant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, où se croisent les mondes dans des coursives interstellaires, s’allongeant dans d’immenses décors lunaires. D’ascenseurs géants en petits trains de fête foraine, sous des voutes cathédralesques, après deux heures de retard, nous rejoignons au milieu de la nuit notre dernière étape. Nous ne savons plus très bien à quelle heure ni où nous sommes.
Kuala Lumpur, capitale de cette discrète mais, semble-t-il, efficace monarchie constitutionnelle qu’est la Malaisie : deux millions d’habitants à l’ombre des deux tours jumelles « Petronas », quatre-vingt-huit étages, longtemps les plus hautes du monde, grouillent dans l’ambiance moite de l’automne tropical, chaud -on frôle les trente degrés – humide et lourd. De gros nuages bien noirs se découpent sur un ciel tourmenté.
Les rues raviraient Anne Hidalgo bientôt disponible, tant il y à faire : les petites voitures malaisiennes, Perodua et Proton, loin devant d’inévitables Honda ou Toyota, encombrent des artères héritées des gouverneurs anglais. On s’attend à voir surgir l’honorable Thomas Stamford Raffles, et pourquoi pas, Joseph Conrad.
Des essaims de deux roues y slaloment en permanence. On aperçoit une Porsche égarée devant la façade d’un palace de la belle époque. Une indiscutable énergie enveloppe la ville vivante sous les arbres chahutés par un vent vindicatif, trompettes d’or, rhapis, becs de perroquets, ficus divers et autres érables palmés.

La route entre Kuala et Penang, charmante île de la province éponyme au large, au sud-ouest de la péninsule malaise, dans le stratégique détroit de Malacca, est un long ruban de près de quatre cent kilomètres tracé au cœur s’une épaisse forêt de grands et lourds palmiers formant à perte de vue un horizon bleu presque marine entre le ciel et la mer. Penang est gratifiée de sept cent cinquante mille habitants, mais, passé le centre, George Town et Little India, la forêt de grues autour des hauts buildings en construction laisse imaginer qu’on en attend des millions. S’impose, là encore, à deux pas des maisons coloniales et des vieux palaces du dix-neuvième siècle, cette impression de sur activité jusque dans les vieux marchés chinois.
Nous venions, en compagnie de l’ONG « Leaders for Peace », inaugurer le « Lin Xiang Xiong Art Gallery », un vaste musée de 8000 mètres carrés, espèce de tortue géante ou de casque de samouraï, inspiré peut être par Frank Gehry, voulu et construit par le professeur Lin, peintre et mécène, promoteur du mouvement « l’Art pour la Paix », pour présenter sa propre œuvre artistique dédiée à la paix. Puisse cette initiative faire le plein d’émules dans le monde.
Nous sommes bien loin ducafé du village. Trois bloody mary, quinze heures d’A380 et sept heures de décalage plus loin, j’atterris de retour dans la grisaille parisienne et retrouve une belle ambiance feutrée d’immobilisme : la France n’aura finalement pas de budget pour 2026 et les coquins d’agriculteurs retrouvent le chemin des barrages au début des vacances d’hiver. Mes deux autoroutes, l’A20 et l’A89 sont bloqués. Tous les trains sont complets. J’ai quand même repéré un bon vieux Corail.