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Le paysage audiovisuel français désormais bouleversé par les innombrables réseaux où se diffusent le tout et le n’importe quoi connait une tempête prévisible. La place des radios et télévisions de Service public prépondérante en nombre et en audience (pour la radio) est dans le viseur de groupes privés depuis longtemps. Jadis TF1 s’agaçait d’un Service Public trop protégé par la loi et donc à l’abri de la concurrence. Ce qui n’est plus le cas. Aujourd’hui les raisons de la tempête sont éminemment plus idéologiques.
Les faits : au mois de juillet dans un restaurant parisien deux dirigeants du Parti Socialiste ont donné rendez-vous à leur demande à deux journalistes de France Inter Thomas Legrand et Patrick Cohen car ils sont mécontents du traitement selon eux infligé à Olivier Faure sur les antennes publiques. Rendez-vous qui n’a rien inhabituel, les journalistes spécialisés en politique ont la nécessité de rencontrer députés, sénateurs, ministres etc. pour s’informer, recueillir des avis, les croiser et en faire la matière de leurs éditos.
Dans ce restaurant quelqu’un filme via son téléphone cette rencontre à l’insu des protagonistes. C’est une personne du journal l’Incorrect crée par des amis de Marion Maréchal. Deux vidéos sont mises en ligne. L’une de 33 secondes est un montage de propos tenus par Thomas Legrand et/ou Patrick Cohen. Les propos évoquent Rachida Dati et ses déclarations. « Nous on fait ce qu’il faut pour Dati » peut-on entendre. Là commencent les interprétations : « nous faisons notre métier de vérifier tout ce que dit Rachida Dati » voilà pour les journalistes, « propos graves et contraires à la déontologie » clame l’entourage de la ministre aussitôt suivi par Jordan Bardella « partialité du Service Public ». Une deuxième vidéo d’environ une minute est diffusée, toujours faite de montage, où la conversation tourne autour du traitement par le Figaro des actualités écologiques.
A partir de ces faits se déclenche une bataille non dénuée d’arrières pensées. La réforme de l’audiovisuel public voulue par la ministre de la Culture et la droite conservatrice contient en germe l’idée de reprendre la main sur des rédactions estimées peu favorables. La montée en audience des chaines telle CNews donne de l’appétit aux critiques envers Radio France et certaines émissions de France Télévisions trop investigatrices. Et de fait c’est l’animateur Pascal Praud qui se montre aussitôt le plus virulent.

Un comité d’éthique se réunit et conclut qu’il n’y a rien à reprocher aux deux journalistes. Thomas Legrand concède des propos maladroits mais tronqués et réclame avec Patrick Cohen la totalité des enregistrements faits en toute illégalité dans un restaurant.
L’ARCOM (Autorité de la Régulation de la Communication audiovisuelle et numérique) convoque les deux présidentes Sybile Veil et Delphine Ernotte et conclut là encore en exonérant les journalistes de toute faute mais ajoute qu’elle va travailler sur l’impartialité du secteur public de l’audiovisuel tout en renvoyant aux employeurs la charge du respect de la déontologie journalistique.
Enfin la présidente de France Télévisions prend la parole et dans le journal Le Monde qualifie CNews de chaine d’extrême-droite et parle d’une forme de complotisme anti-secteur public.
Voilà pour l’essentiel de cette tempête assez parisienne mais fondée sur des antagonismes anciens et devenus liés à la situation politique française. Alors que faut-il en penser ? Que peut-on en tirer comme enseignements ?
C’est l’honneur du secteur public de l’audiovisuel de proposer des traitements de l’information non complaisants, vérifiés, avérés quoi qu’il en coûte. C’est l’honneur du secteur public de proposer sur la 5 des débats de qualité dérangeants. C’est l’honneur de la 2 de diffuser Envoyé Spécial ou Complément d’enquête. Pour ce qui concerne la pratique de la caméra cachée, de la diffusion sur des réseaux dits sociaux d’enregistrements volés sous des formes arrangées (selon les convictions de l’arrangeur pour faire le buzz) il m’est arrivé souvent de rappeler que c’est contraire à une éthique de journaliste qui doit toujours faire valoir sa qualité, ne pas user de méthodes policières d’enquête. J’ajoute que devant les obstructions systématiques de maints organismes ou entreprises, il est compréhensible que l’on dissimule une caméra, entorse acceptable au principe.
Restent les coups de boutoirs venus de la chaine du groupe Bolloré, des partis d’extrême droite et d’autres. La bataille est claire, il s’agit de réduire voire de supprimer un secteur public de l’audiovisuel qui échappe encore peu ou prou aux contrôles du pouvoir en place (même si celui-ci ne se cache pas de donner des conseils, on l’a vu lors du départ d’Anne Sophie Lapix).
La liberté d’informer n’est pas acquise. Laissons de côté les émissions polémiques de Pascal Praud et consorts qui n’ont rien à voir avec le journalisme. C’est du spectacle à des fins politiques le plus souvent nourris de rumeurs et d’opinions sans fondement… Nul n’est obligé d’aller voir… Revenons au journalisme, à son obligation toujours en équilibre de rendre compte, de vérifier, d’émettre des commentaires, de faire part d’émotions aussi. L’impartialité est chose ambigüe : nul n’est objectif, il faut faire œuvre de rigueur et d’honnêteté intellectuelle. Ce qui suppose d’affronter des militants, des personnes engagés dans des combats partisans, des personnalités désireuses de promotions. On peut, on doit déjeuner avec celles et ceux qui peuvent livrer des informations, on peut on doit aller sur les terrains parfois les risqués pour se confronter à des réalités différentes des discours institutionnels, quitte à heurter les avis officiels. C’est une profession de liberté et de courage parfois, elle dérange, elle doit déranger. Dans l’exercice de notre profession il convient désormais d’être encore plus vigilant : le moindre téléphone est un outil de manipulation, l’usage (désormais admis dans plusieurs rédactions) de l’Intelligence dite artificielle permet de faire des journaux sans journalistes et ainsi de publier des articles uniformes, les tentatives d’ingérences, la puissance des directions de communications chargées de faire ainsi, propagande utile, tout vient cerner le journalisme, cette idée indispensable à toute démocratie.