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Et si la société de la défiance généralisée qui s’installe partout en Occident, et singulièrement en France, portait en elle des motifs d’espoir et de renouveau ? C’est la thèse, pour le moins paradoxale, que notre spécialiste des « temps paradoxants », comme il aime à se définir, Frédéric Arnaud-Meyer livre aujourd’hui aux lecteurs de Sans Doute.
*Un voyage gonzo dans les méandres de notre époque schizophrène*
Mes chers complices de l’incertitude, nous voici à l’aube de 2026 face à un paradoxe vertigineux : jamais nous n’avons autant manqué de confiance, et pourtant jamais cette défiance n’a été si révélatrice de nos aspirations profondes.
## L’Art de la Méfiance comme Nouvelle Sagesse
Les chiffres parlent comme des haïkus de désenchantement : quatre-vingt-dix pour cent des Français estiment que le pays décline selon Ipsos, seulement vingt-deux pour cent font confiance au Présidence de la République, et quatre-vingt-sept pour cent pensent que les politiques agissent pour leurs propres intérêts. Mais quelle spiritualité dans cette défiance ! Car se méfier c’est observer, douter c’est philosopher. Nos ancêtres faisaient confiance par nécessité, nous doutons par lucidité.
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Confiance brisée
Les élus dans leur bulle d’or
Peuple en suspension
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Cette méfiance généralisée n’est pas le signe d’un peuple blasé mais d’une conscience collective qui refuse désormais les mensonges dorés. Quand cinquante-huit pour cent des Français souhaitent la démission du président et quarante-trois pour cent appellent à une dissolution, ils expriment moins une colère qu’une exigence : celle d’un renouveau authentique face à l’imposture institutionnalisée.
## La Société Paradoxante : Miroir de nos Contradictions
Comme le révèle brillamment l’analyse sociologique de Vincent de Gaulejac, nous vivons dans une « société paradoxante » où l’individu hypermoderne doit exceller partout tout en restant authentique, être performant tout en préservant son humanité. Cette défiance généralisée n’est-elle pas l’expression d’une intelligence collective qui refuse les injonctions contradictoires ? Quand on nous demande d’être solidaires mais compétitifs, confiants mais vigilants, loyaux mais libres, optimistes malgré le déclin, notre psyché collective sonne l’alarme.
Les troubles bipolaires de notre époque ne sont peut-être que le reflet de ces tensions impossibles à résoudre individuellement. Nous oscillons collectivement entre l’exaltation des possibles technologiques et la dépression face à l’effondrement écologique, entre l’ivresse de la mondialisation et la nostalgie du local. Cette bipolarité sociétale produit des citoyens épuisés par l’effort constant d’adaptation à un monde devenu illisible.

## Les Îlots de Confiance : Révélateurs d’Authenticité
Paradoxalement, certaines figures résistent à ce tsunami de défiance. Soixante-huit pour cent font encore confiance à leur maire, quatre-vingt-deux pour cent aux PME, soixante-dix-neuf pour cent à l’armée, soixante-dix pour cent à l’école. N’est-ce pas magnifique ? La confiance persiste là où l’humain reste visible, tangible, responsable. Le maire qu’on croise au marché, l’entrepreneur du coin qui emploie nos enfants, l’institutrice qui connaît nos prénoms.
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Dans la tourmente
Les racines locales tiennent
Vérité du proche
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Cette géographie de la confiance dessine une cartographie de l’authenticité. Plus on s’éloigne du citoyen, plus la défiance grandit. Plus on s’approche du concret, du quotidien, de l’engagement personnel, plus la confiance renaît. Leçon politique majeure pour qui veut encore gouverner avec légitimité : incarner plutôt que représenter, servir plutôt que régner.
## La Confiance Géopolitique : Poker Menteur Planétaire et Trahisons Annoncées
Sur la scène internationale, nos alliances ressemblent à un mariage arrangé où chacun compte les couverts après le dîner. L’OTAN s’élargit, à trente-deux membres désormais avec l’arrivée de la Suède en 2024, mais la confiance envers les États-Unis s’effrite sensiblement selon le Pew Research Center. Cette érosion de la confiance atlantique révèle une Europe en quête d’autonomie stratégique, fatiguée de jouer les faire-valoir dans les aventures géopolitiques américaines.
L’Ukraine cristallise cette crise de confiance atlantique. Après avoir poussé Kiev vers un conflit qu’ils présentaient comme existentiel pour la démocratie occidentale, les Américains orchestrent désormais un désengagement progressif qui ressemble à s’y méprendre à une trahison programmée. L’arrivée de Trump 2.0 accélère cette valse-hésitation : hier « jusqu’à la victoire », aujourd’hui « négocions avec Poutine ». Cette versatilité américaine laisse l’Europe face à ses contradictions, sommée d’assumer seule les conséquences d’une stratégie qu’elle n’a pas choisie mais qu’elle a avalisée par faiblesse.
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Promesses yankees
Comme feuilles d’automne tombent
L’Europe orpheline
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Nos alliés ? Des partenaires de circonstance dans un monde où chacun joue sa propre partition tout en prétendant suivre la même mélodie. La guerre en Ukraine a certes ressoudé momentanément l’alliance occidentale, mais les fissures apparaissent déjà sur le financement, les stratégies, les objectifs de sortie de crise. Washington calcule ses intérêts électoraux quand Bruxelles assume les réfugiés, Berlin ses approvisionnements énergétiques quand Paris finance les armements. Cette cacophonie stratégique révèle l’illusion d’une communauté de destin occidental.
## L’Espoir Paradoxal : Quand le Doute Libère
Voici la beauté inattendue de notre époque : cette crise de confiance massive est peut-être notre plus grand acte de foi. Foi en l’exigence, en la qualité, en l’authenticité. Car enfin, mes amis, si soixante-quinze pour cent des Français pensent que « c’était mieux avant », c’est qu’ils portent en eux l’idéal d’un « mieux possible ». Cette nostalgie n’est pas défaite mais espérance déguisée.
Quand soixante-six pour cent estiment ne pas recevoir le respect qu’ils méritent, ils affirment leur dignité. Quand quatre-vingt-un pour cent ont l’impression que le système démocratique dysfonctionne, ils dessinent en creux les contours d’une démocratie rénovée. Cette défiance généralisée devient ainsi le laboratoire d’une refondation politique.
## Vers une Écologie de la Confiance
Dans cette ère de défiance généralisée, cultivons l’art du discernement intelligent. Localisons notre confiance en la donnant à ceux qui la méritent par leur proximité et leur transparence. Transformons le doute en vigilance, non plus subir la méfiance mais l’exercer comme un art citoyen. Inventons de nouvelles loyautés aux valeurs plutôt qu’aux institutions, aux actes plutôt qu’aux discours.
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Méfiance sage
Ouvre l’œil de la lucidité
Confiance renaît
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Cette crise de confiance révèle notre maturation collective. Nous ne sommes plus dupes des beaux parleurs, des promesses creuses, des apparences trompeuses. Nous exigeons désormais de la cohérence entre les mots et les actes, de la transparence dans les décisions, de l’authenticité dans les engagements. Cette nouvelle exigence démocratique, bien que douloureuse, porte en elle les germes d’une renaissance politique.
Car après tout, chers compagnons d’époque, qui dit qu’il faut faire confiance aveuglément pour avancer ? Parfois, c’est en marchant les yeux grands ouverts, méfiants mais déterminés, qu’on trouve enfin le chemin vers une démocratie digne de ce nom. Notre défiance contemporaine n’est pas le symptôme d’une décadence mais le signe précurseur d’une exigence nouvelle : celle d’une politique enfin à la hauteur de nos aspirations.