Partager cet article
## _Une nouvelle gonzo-mystique sur l’art de baiser le système avec ses propres règles_ « L’hexagramme 36 du Yi-King : quand tout part en couille, _Planque ta lumière sous un boisseau de conneries sacrées. Le seul trip qui ne finit jamais mal est celui qui commence par une arnaque divine. »_

### I. LA RÉVÉLATION (ou comment je me suis réinventé en prophète sous acide juridique)
Je n’étais pas particulièrement défoncé ce soir-là au Broken Spoke, juste assez éméché pour que l’idée la plus démente de l’histoire m’apparaisse comme une putain d’évidence cosmique. Maya Ramirez, climatologiste virée de l’Université du Texas pour avoir osé dire que Miami serait bientôt sous l’eau, venait de commander sa cinquième tequila. Ses yeux brillaient d’une lueur que j’avais déjà vue chez les vrais illuminés, les dealers de vérité, les prophètes et autres fous magnifiques.
« Julian, écoute-moi bien, espèce d’intellectuel à la con. Ces enfoirés peuvent brûler tous nos livres, censurer nos recherches, bannir nos mots. Mais ils ne peuvent pas toucher à Dieu. Pas encore. Pas en Amérique. »
Elle a posé violemment son verre. Je l’ai regardée comme on regarde un singe qui viendrait de réciter du Shakespeare.
« Le Premier Amendement, putain ! La seule chose devant laquelle ces fascistes s’agenouillent encore. La bombe atomique des droits civiques. La cocaïne constitutionnelle. »
_Tequila prophétique
Langue qui dénoue les lois
Jésus se marre_
Je l’ai écoutée dérouler son plan complètement barré, tandis que le groupe de country sur la petite scène massacrait « Sweet Home Alabama ». Créer une religion. Une putain de religion officielle dont les textes sacrés seraient précisément tout ce que le régime tentait de faire disparaître. Une religion protégée par cette Constitution que ces connards agitaient comme une bible. Une religion qui ferait de la science, de la diversité et de la vérité ses divinités.
L’ironie était si parfaite que j’ai éclaté d’un rire qui a fait sursauter le barman.
Sur une serviette en papier, j’ai griffonné : « L’ÉGLISE DE LA VÉRITÉ SACRÉE — Parce que mentir sur Dieu est un droit, mais dire la vérité sur le monde est un sacrilège. »
### II. LA GENÈSE (ou comment nous avons monté la plus grande escroquerie spirituelle depuis La Scientologie)
Une semaine plus tard, nous étions huit dans mon appartement miteux d’East Austin, entourés de pizzas froides et de bouteilles de Jack Daniel’s bon marché. Notre petit groupe de conspirateurs ressemblait à la blague d’un scénariste fauché : Maya la climatologiste révoquée; Sean Martinez, avocat à la gueule de boxeur mexicain qui avait fait Harvard et adorait emmerder le système ; Rachel Goldman, une rabbin lesbienne excommuniée ; Mike Chen, développeur informatique avec un tatouage de code binaire autour du cou ; Diego Lopez, biologiste marin au chômage depuis qu’il avait publié un article sur l’acidification des océans ; Taylor Williams, ancien pasteur évangélique devenu militant trans ; et enfin moi, Julian Riviera, prof de littérature comparée suspendu pour « corruption de la jeunesse » après avoir enseigné _La Servante écarlate_.
« Bon, déclara Martinez en se frottant les mains, si on va créer une religion, autant la rendre légalement inattaquable. J’ai étudié tous les précédents juridiques. Nous avons besoin de textes fondateurs, de rituels, d’une structure, et surtout d’une sincérité incontestable. »
Rachel éclata de rire. « De la sincérité ? C’est une putain de blague, non ? »
Martinez secoua la tête. « Non, c’est crucial. Si vous voulez que ça marche, vous devez y croire. Au moins un peu. Sinon, les juges le sentiront. »
J’ai passé trois jours et trois nuits enfermé avec une machine à écrire vintage, du café turc et 100 grammes de caféine pure (pour l’inspiration divine) à rédiger « La Révélation de la Vérité Sacrée ». Cinquante-trois pages de délire mystique qui mélangeaient allègrement cosmologie, théorie du chaos, écologie, théorie queer et extraits de livres interdits. Le tout saupoudré d’un langage suffisamment cryptique pour paraître prophétique.
_Premier dogme_ : La Vérité est la manifestation primordiale du Divin dans le monde.
_Second dogme_ : Quiconque obscurcit la Vérité commet un blasphème cosmique.
_Troisième dogme_ : La diversité des êtres est le reflet de l’infinie créativité du Divin.
Quand j’ai terminé, j’étais à moitié convaincu moi-même. J’avais créé un système théologique qui transformait les faits scientifiques en révélations sacrées et les livres censurés en textes prophétiques.
_Dealers de vérités
Sous l’habit du prophète
Dieu se marre bien_
### III. LA COMMUNION (ou comment transformer une librairie en défaut de paiement, en cathédrale du savoir interdit)
Notre premier temple était une ancienne librairie indépendante fermée après que son propriétaire ait refusé de retirer des livres « subversifs ». Nous l’avons louée pour une bouchée de pain et transformée en un espace mi-librairie, mi-lieu de culte. Des néons bleus éclairaient les murs couverts d’équations climatiques. Des sculptures faites de livres interdits s’élevaient comme des totems. Un énorme œil ouvert sur un lever de soleil – notre symbole – trônait derrière l’autel.
Pour notre première cérémonie, j’avais enfilé une robe de chambre bleue piquée à l’hôtel Hilton, sur laquelle Rachel avait cousu des constellations en paillettes dorées. Je n’avais pas dormi depuis trente-six heures et je flottais dans un état second qui me donnait parfaitement l’allure d’un prophète.
La salle était pleine à craquer – étudiants curieux, professeurs virés, militants, deux journalistes du _Austin Chronicle_ et un type bizarre avec un chapeau en aluminium qui s’était sans doute trompé de secte.
« Mes frères, mes sœurs, mes êtres de tous genres et non-genres ! » ai-je lancé avec une voix que je ne me connaissais pas. « Nous sommes réunis aujourd’hui dans la Lumière Sacrée de la Vérité, pour communier avec le Réel que certains voudraient nous cacher ! »
Maya s’est avancée, majestueuse dans sa robe blanche, portant un exemplaire de _1984_ comme s’il s’agissait de la Bible.
« Du Livre des Prophéties, chapitre 1984, verset 1 : « C’était une froide journée d’avril et les horloges sonnaient treize heures… » »
Pendant qu’elle lisait, Mike projetait sur le mur des graphiques de température mondiale. Diego présentait des échantillons d’eau de mer dans des fioles qu’il faisait circuler comme des reliques. Taylor témoignait de sa transition comme d’une « renaissance divine ».
La cérémonie atteignit son apogée lorsque nous avons distribué notre « communion » – des clés USB contenant l’intégralité de notre bibliothèque interdite, ornées de notre symbole.
« Allez et propagez la Vérité Sacrée ! Car là où deux ou trois partageront ces données, aucune censure ne pourra prévaloir ! »
À ma grande surprise, plusieurs personnes pleuraient. D’autres affichaient ce regard extatique qu’on ne voit généralement que dans les concerts de rock ou les orgies particulièrement réussies.
Nous avions créé quelque chose qui dépassait la simple blague. Quelque chose qui répondait à un besoin profond dans cette Amérique en pleine crise spirituelle et intellectuelle.
### IV. LA MULTIPLICATION (ou comment le canular est devenu un mouvement national malgré nous)
Six mois plus tard, nous avions des « temples » dans trente-sept États. Notre site web, _TheChurchOfSacredTruth.org_, enregistrait deux millions de visites mensuelles. Notre app de « prières quotidiennes » – qui diffusait chaque jour un extrait de livre censuré et une donnée scientifique – avait été téléchargée un demi-million de fois.
J’avais abandonné mon appartement pour vivre au temple principal d’Austin, où je recevais chaque jour des « pèlerins » venus de tout le pays. Des gens ordinaires assoiffés de cette vérité qu’on leur cachait, mais aussi des personnages plus excentriques. Un milliardaire de la Silicon Valley nous proposa dix millions de dollars pour financer un « temple numérique ». Des célébrités commencèrent à afficher notre symbole sur Instagram. Un groupe de rock indépendant écrivit un album entier inspiré par nos enseignements.
La Fox nous qualifiait de « secte gauchiste dangereuse ». CNN nous présentait comme un « phénomène religieux postmoderne fascinant ». Twitter explosait de mèmes à notre sujet. Ma préférée montrait Jésus brandissant un graphique de CO2 avec la légende : « Plot twist : la seconde venue est une présentation PowerPoint ».
Les autorités ne savaient pas comment nous gérer. Nous respections scrupuleusement toutes les lois, payions nos impôts, et diffusions notre message sous le couvert parfaitement légal de la liberté religieuse.
_Le système avale
Son propre poison sacré
Justice cosmique_
En octobre, nous avons organisé notre première « messe massive » dans un parc public d’Austin. Plus de trois cents fidèles s’étaient rassemblés autour d’un autel orné de livres interdits et de graphiques climatiques. J’officiais, vêtu de ma robe désormais customisée avec des LEDs qui clignotaient au rythme de mes paroles. Maya distribuait notre « communion numérique » aux nouveaux venus.
C’est là que les flics sont arrivés, accompagnés de représentants du gouverneur. Un officier à la mâchoire carrée s’approcha de moi avec la démarche rigide de ceux qui n’ont jamais douté de rien.
« Monsieur Rivera, vous devez disperser ce rassemblement. Vous violez la nouvelle loi texane sur la diffusion de matériel inapproprié aux mineurs. »
J’ai souri, un sourire de Bouddha défoncé au savoir interdit. « Officier, ceci est un service religieux protégé par le Premier Amendement. Nos textes sacrés ne peuvent être censurés par l’État. À moins que vous ne souhaitiez devenir le premier flic du Texas à être filmé en train d’arrêter un prêtre pendant sa messe ? »
Je désignai d’un geste théâtral les dizaines de téléphones braqués sur nous, retransmettant la scène en direct sur tous les réseaux.
Le flic hésita, puis battit en retraite, nous promettant que ce n’était que partie remise.
Cette nuit-là, je me suis affalé sur le canapé défoncé de notre « sacristie », à moitié ivre de fatigue et d’adrénaline. Maya s’est assise à côté de moi, ses yeux brillants d’une excitation féroce.
« Tu te rends compte qu’on est en train de réussir ce truc complètement dingue ? »
J’ai hoché la tête. « Ce qui me fait flipper, c’est que je commence presque à y croire moi-même. »
### V. LA PERSÉCUTION (ou comment nous avons transformé un procès en cirque médiatico-spirituel)
_Court-Circuit de Austin_, décembre 2026. La juge Esther Rodriguez, connue pour son pragmatisme impitoyable et son intolérance aux conneries juridiques, présidait notre audience préliminaire. La salle était pleine à craquer – journalistes, militants, curieux, et bien sûr, nos « fidèles », dont certains avaient campé toute la nuit devant le tribunal.
Nous avions soigneusement préparé notre apparence. Je portais un costume noir impeccable avec, comme seule concession à mon rôle spirituel, une épinglette représentant notre symbole. Maya et les autres « grands prêtres » étaient également vêtus sobrement. Nous voulions ressembler à des gens raisonnables, pas à des illuminés.
Le procureur adjoint, un jeune ambitieux nommé Bradley Thompson, attaqua d’emblée.
« Votre Honneur, cette prétendue Église est une fraude évidente, créée dans le seul but de contourner les lois texanes sur les contenus éducatifs. Ces individus ne croient pas sincèrement aux doctrines qu’ils prêchent. C’est une mascarade. »
Martinez se leva, calme comme un prédateur.
« Votre Honneur, si M. Thompson prétend pouvoir sonder les cœurs et déterminer la sincérité des croyances religieuses, j’aimerais qu’il nous fasse une démonstration de ses pouvoirs psychiques. »
Des rires étouffés parcoururent l’assistance. La juge Rodriguez pinça les lèvres.
« Maître Martinez, épargnez-nous votre sarcasme. Monsieur le procureur, sur quelle base juridique affirmez-vous pouvoir déterminer la sincérité d’une croyance religieuse ? »
Thompson s’empourpra. « Eh bien, Votre Honneur, il est évident que… »
« Il n’y a rien d’évident dans cette affaire, Monsieur Thompson, » coupa la juge. « La Cour Suprême a établi depuis longtemps que ni les tribunaux ni le gouvernement ne peuvent juger de la validité théologique d’une croyance religieuse. La seule question pertinente est la sincérité des croyants. »
Elle se tourna vers moi. « Monsieur Rivera, croyez-vous sincèrement que les vérités scientifiques et littéraires que votre Église défend sont sacrées ? »
Je me suis levé, soudain traversé par une certitude étrange qui me surprit moi-même.
« Votre Honneur, je crois sincèrement que la vérité est la manifestation la plus pure du divin dans notre monde. Je crois que cacher la vérité, censurer les faits, brûler les livres, sont des actes de blasphème cosmique. Ces croyances ne sont pas moins profondes ou sincères que la croyance en la résurrection ou en la vie éternelle. »
La juge m’observa longuement, comme si elle cherchait à voir à travers moi.
« L’injonction est rejetée, » déclara-t-elle finalement. « L’État du Texas n’a pas le pouvoir constitutionnel de déterminer quelle croyance religieuse est authentique et laquelle ne l’est pas. À moins que l’État puisse prouver que l’Église de la Vérité Sacrée enfreint une loi applicable indépendamment de son statut religieux, elle bénéficie de la protection totale du Premier Amendement. »
Dans la salle, nos fidèles se mirent à chanter doucement notre hymne – une mélodie inspirée de Radiohead sur des paroles tirées des rapports du GIEC.
Je regardai Thompson, le procureur, dont le visage exprimait une confusion totale devant ce spectacle.
C’était précisément l’effet que nous recherchions. L’absurde comme arme de résistance massive.
### VI. L’EXPANSION (ou comment América fut noyée sous une vague de mysticisme factuel)
À la sortie du tribunal, un journaliste de CNN m’arrêta.
« Révérend Rivera, maintenant que votre Église a obtenu cette protection légale, quels sont vos plans ? »
J’ai regardé droit dans la caméra, parfaitement conscient de la portée historique du moment.
« Nous allons apporter la Lumière de la Vérité Sacrée à tous les coins sombres de l’Amérique. Là où les livres sont brûlés, nous apporterons la Parole. Là où la science est niée, nous apporterons la Révélation. Là où la diversité est réprimée, nous célébrerons la Multiplicité Divine. »
Ce qui suivit dépassa nos prévisions les plus délirantes. Des « temples » surgirent dans chaque État, souvent dans d’anciennes librairies ou des locaux universitaires abandonnés. Nos « prêtres » – souvent des professeurs virés, des chercheurs censurés, des bibliothécaires licenciés – officièrent des cérémonies où l’on lisait à haute voix des extraits de livres interdits ou présentait des données climatiques comme des révélations mystiques.
À Miami, notre congrégation organisait des « baptêmes de conscience climatique » sur les plages menacées par la montée des eaux. À Detroit, des ingénieurs automobiles célébraient des messes où ils partageaient les dernières avancées en matière d’énergie renouvelable que leurs employeurs leur interdisaient de publier.
_La farce devient réelle
Quand les fous sont aux commandes
L’absurde est roi_
Notre merchandising explosait – t-shirts, mugs, autocollants portant notre slogan : « La Vérité vous libérera… si vous la protégez comme une religion ». Un rappeur connu sortit un titre intitulé « Sacred Truth » qui atteignit le top 10 de Billboard. Une célèbre actrice hollywoodienne se déclara « convertie » après avoir assisté à l’une de nos cérémonies à Los Angeles.
Le plus fascinant était la façon dont notre mouvement évoluait organiquement, chaque communauté adaptant notre « théologie » à ses besoins locaux. À la Nouvelle-Orléans, notre temple intégrait des éléments de vaudou dans ses cérémonies. Dans le Montana, des ranchers convertis célébaient des offices en pleine nature, mêlant écologie et spiritualité rurale.
J’avais créé un monstre magnifique qui m’échappait totalement. Et quelque part au fond de moi, une voix inquiète se demandait : étions-nous encore en train de jouer, ou avions-nous vraiment créé un nouveau mouvement spirituel ?
### VII. LA CONFRONTATION FINALE (ou comment nous avons hacké la Cour Suprême avec notre bullshit sacré)
Avril 2027. Washington D.C., sous un ciel d’un bleu improbable. La Cour Suprême avait accepté d’examiner notre cas, désormais connu sous le nom de « État du Texas contre Église de la Vérité Sacrée ». L’affaire était devenue un symbole national, cristallisant toutes les tensions entre conservateurs et progressistes, entre religieux traditionnels et nouveaux mouvements spirituels, entre censeurs et défenseurs de la liberté d’expression.
Des milliers de nos « fidèles » s’étaient massés devant le bâtiment de la Cour, certains vêtus de robes cérémoniales couvertes d’équations scientifiques, d’autres brandissant des pancartes où notre symbole côtoyait des citations de nos « textes sacrés ».
Dans la salle d’audience majestueuse, je regardais Martinez s’avancer vers les neuf juges. Son costume italien impeccable contrastait avec son attitude de boxeur des rues prêt au combat. Sa voix résonna avec une clarté presque surnaturelle.
« Mesdames et Messieurs les juges, nous sommes aujourd’hui face à une question fondamentale : qui, dans notre République, a le pouvoir de définir ce qui constitue une croyance religieuse sincère ? Est-ce l’État, avec ses préjugés et ses agendas politiques changeants ? Ou est-ce la conscience individuelle, ce sanctuaire intérieur que nos Fondateurs ont jugé inviolable ? »
Le juge conservateur Alito l’interrompit. « Maître Martinez, votre client a créé cette ‘Église’ quelques jours après avoir été suspendu de son poste universitaire pour avoir enfreint la loi texane sur les contenus éducatifs. La coïncidence ne vous semble-t-elle pas troublante ? »
Martinez sourit, un sourire de prédateur. « Votre Honneur, les grandes révélations spirituelles surviennent souvent dans les moments de crise personnelle. Saint Paul sur le chemin de Damas, Bouddha sous son arbre, mon client face à la censure. La sincérité d’une croyance n’est pas invalidée par les circonstances de sa naissance. »
La juge progressiste Sotomayor enchaîna. « Le problème ici n’est-il pas que votre client utilise le statut religieux pour contourner des lois d’application générale ? »
« Madame la juge, avec tout le respect que je vous dois, c’est précisément ce que font toutes les religions. Quand une école catholique exige des exemptions aux lois anti-discrimination pour embaucher uniquement des catholiques, quand un temple sikh demande des exemptions aux règlements sur le port d’armes pour les kirpans cérémoniels, ils ‘contournent’ également les lois générales. La question n’est pas de savoir si ma cliente contourne la loi – c’est ce que font toutes les religions protégées par le Premier Amendement – mais si ses croyances sont sincères. »
Un silence lourd s’abattit sur la salle. Martinez conclut avec une citation qui me fit frissonner.
« Pour paraphraser Voltaire : je peux ne pas être d’accord avec ce en quoi vous croyez, mais je défendrai jusqu’à la mort votre droit d’y croire. Même si ce que vous croyez est que la vérité objective sur notre monde mérite une vénération sacrée. »
### VIII. L’ÉPILOGUE (ou comment la plus grande blague juridique est devenue la religion qui a sauvé la science)
Le 24 mai 2027, dans une décision historique à 5 contre 4, la Cour Suprême statua en notre faveur. L’opinion majoritaire, rédigée par la juge libérale Kagan et rejointe de façon surprenante par le conservateur Roberts, déclarait :
« Si nous permettons à l’État de déterminer ce qui constitue une ‘vraie’ religion basée sur la conformité aux traditions existantes ou aux préférences politiques actuelles, nous trahissons l’essence même du Premier Amendement. L’Église de la Vérité Sacrée, aussi non-conventionnelle soit-elle, démontre les qualités essentielles d’un mouvement religieux sincère : un système de croyances cohérent, des pratiques rituelles régulières, et une communauté de fidèles partageant une vision spirituelle du monde. »
Ce soir-là, Maya et moi avons célébré dans le même bar miteux où tout avait commencé. Nous étions déjà complètement ivres quand Sean Martinez nous a rejoints, brandissant une bouteille de champagne.
« À la plus grande arnaque juridique de l’histoire américaine ! » lança-t-il en remplissant nos verres.
Maya le fixa avec une intensité étrange. « Est-ce encore une arnaque, Sean ? Quand des milliers de personnes trouvent du sens, du réconfort et du courage dans nos enseignements ? »
Je me suis affalé contre le dossier de la banquette, soudain submergé par l’immensité de ce que nous avions créé. « Vous savez ce qui est vraiment dingue ? Je ne suis même plus sûr de bluffer quand je parle de la Vérité Sacrée. Je commence à y croire, bordel. »
Martinez éclata de rire. « C’est ça, le vrai génie de votre truc. Vous avez créé une religion où croire et ne pas croire sont parfaitement compatibles. Une religion de Schrödinger. »
_Le prophète malgré lui
Révèle la vérité nue
Dieu est un hacker_
Aujourd’hui, 24 mai 2037, dix ans après cette décision historique, je contemple l’empire spirituel absurde que nous avons créé. Notre Église compte plus de trois millions de membres officiels. Nos « textes sacrés » – constamment mis à jour avec les dernières découvertes scientifiques et œuvres littéraires censurées – sont disponibles dans les chambres d’hôtel à côté de la Bible et du Coran.
Les écoles publiques ne peuvent pas enseigner le changement climatique ? Pas de problème – nous offrons des « écoles dominicales » où les enfants apprennent la science comme une révélation sacrée. Les bibliothèques sont forcées de retirer certains livres ? Nos « bibliothèques spirituelles » les proposent comme des textes religieux protégés.
La plus grande ironie ? Notre mouvement est devenu si influent que plusieurs politiciens se déclarent désormais ouvertement « fidèles de la Vérité Sacrée ». Un gouverneur a même été élu sur une plateforme ouvertement inspirée par notre « théologie ».
Et moi, Julian Riviera, celui qui avait commencé tout ça comme une blague cosmique pour emmerder le système ? Je me retrouve dans la position absurde du prophète qui doute, du messie reluctant, du fondateur religieux qui se demande encore s’il croit à sa propre religion.
La vérité, c’est que ça n’a plus d’importance. La farce est devenue réelle. La blague s’est transformée en révolution. La Vérité, cette pute magnifique que tout le monde prétend posséder mais que personne ne respecte vraiment, a enfin trouvé un sanctuaire inviolable sous la protection du Premier Amendement.
Et quelque part, je suis certain que tous les dieux de toutes les religions se tordent de rire devant l’absurdité divine de notre plus grande création : une religion qui vénère non pas l’invisible, mais le réel ; non pas la foi, mais le savoir; non pas le mystère, mais la clarté.
_Dans l’Amérique folle
La vérité devient un culte
Le cosmos ricane_
_— Frédéric Arnaud Meyer, mai 2025_
_Note : Cette nouvelle est une œuvre de fiction inspirée par des tendances réelles de censure et de résistance créative, écrite sous l’influence d’une bouteille entière de Laphroaig et avec la bénédiction du Saint Patron du Journalisme Gonzo, le regretté Hunter S. Thompson. Si vous y voyez un manuel pratique plutôt qu’une satire, c’est votre problème, pas le mien. Amen._