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Le 23 octobre prochain, la maison de ventes Christie’s mettra aux enchères à Paris l’une des œuvres les plus emblématiques d’Yves Klein (1928-1962) : California, (IKB 71)*. Exposée pour la première fois en France, cette toile monumentale, incarne l’apogée de la quête artistique de Klein pour un bleu absolu, une couleur qu’il a lui-même inventée et baptisée International Klein Blue (IKB). Pierre-Emmanuel Martin-Vivier explique en exclusivité pour son premier article pour Sans Doute pourquoi cette oeuvre est iconique.
Avec près de deux mètres de haut pour plus de quatre mètres de large, cette pièce majeure est non seulement un chef-d’œuvre de l’artiste, mais aussi une expérience sensorielle et spirituelle à part entière.
California, (IKB 71) n’est pas une simple peinture. C’est une invitation à l’immersion, un ‘happening’ visuel où le spectateur est convié à s’abandonner dans une profondeur à la fois tangible et insaisissable. La surface de l’œuvre, à la texture rugueuse et accidentée, évoque la croûte terrestre d’un sol encore vierge, ou les reliefs mystérieux des fonds marins. Ses douces bosselures, presque organiques, rappellent les récifs coralliens ou les motifs ondulants des jardins zen que Klein découvrit lors de son voyage au Japon en 1952-1953. L’œuvre, quasi sculpturale dans sa présence massive, semble pourtant évanescente, comme si sa matière poudreuse pouvait se dissoudre sous le regard.
Ce bleu profond, intense et vibrant, crée un vide absolu où matière et esprit se confondent. Il préfigure les « reliefs planétaires » de l’artiste, tout en évoquant l’immensité silencieuse de l’océan ou d’un ciel sans fin. Roland F. Pease, critique new-yorkais, décrivit l’expérience de se tenir devant un monochrome de Klein comme celle de « contempler une merveille de la nature pour la toute première fois, une de ces merveilles colossales, comme le Grand Canyon ». Selon lui, la grandeur de ces toiles réside dans leur silence, « immense, presque insoutenable ».

Exécutée en 1961, California, (IKB 71) fut dès l’origine destinée au marché américain. Elle fut présentée pour la première fois chez le célèbre marchand new-yorkais Léo Castelli, lors d’une exposition historique pour laquelle Klein fit le déplacement, marquant son unique voyage aux États-Unis. Le hasard — ou le destin — voulut que le vernissage new-yorkais de l’œuvre, le 11 avril 1961, coïncide avec un événement qui allait changer la perception humaine de l’univers : le 12 avril, Youri Gagarine devenait le premier homme à voyager dans l’espace. « Le ciel est très noir, la Terre est bleue. Tout est visible très clairement », rapporta-t-il. Pour Klein, cette déclaration confirmait sa vision : la Terre était bel et bien bleue, imprégnée de l’IKB. Il écrivit plus tard à son ami Arman que Gagarin avait été, en quelque sorte, le seul visiteur de son exposition dans l’espace.
Pour l’artiste, ce bleu cosmique n’était pas seulement la couleur du vide, mais aussi celle de la mer — infinie, immersive, élémentaire. California, (IKB 71) incarne ce double symbolisme, reliant le ciel et l’océan dans une même vibration poétique.
Yves Klein a marqué l’histoire de l’art par sa quête d’un bleu absolu, une couleur qu’il considérait comme la manifestation pure de l’immatérialité. California, (IKB 71) est bien plus qu’une peinture : c’est une porte ouverte sur l’infini, une méditation sur la place de l’homme dans l’univers. À travers cette œuvre, Klein nous rappelle que l’art peut être une expérience totale, une plongée dans l’invisible, où le silence et la couleur deviennent les langages d’une émotion universelle.
Alors que cette toile s’apprête à changer de mains, elle continue de fasciner par sa capacité à transcender le temps et l’espace, invitant chaque spectateur à s’y perdre — et peut-être à s’y retrouver.