Partager cet article
Entre les turbulences de la politique américaine et le découplage sino-américain, la stagflation menace et les entreprises françaises se trouvent face à un double défi, financier et stratégique. Comment repenser leurs modèles, préserver leur compétitivité et transformer cette contrainte en opportunité d’innovation ?
Pour cette rentrée, « Sans Doute » est-il judicieux de bien penser à se procurer l’équipement intégral de lutte contre la stagflation. En macro-économie, elle est le schéma le plus insidieux, car elle conjugue un ralentissement de l’activité et une poussée inflationniste. Son caractère contre-intuitif tient généralement à la fin d’un long cycle de croissance, que vient interrompre un choc extérieur, comme la hausse du pétrole de 1973, menant à la stagnation des années 1975-80.
Aujourd’hui, deux éléments (tous deux mal appréciés à ce stade) liés au choc de la politique poursuivie par le président Trump, expliquent la menace stagflationniste qui nous attend. D’abord, le « Jour de la Libération » du 2 avril est le déclenchement d’une guerre, non pas tarifaire, telle qu’elle est généralement présentée, mais monétaire, liée au financement de l’emballement du déficit budgétaire américain.
La bonne nouvelle est que les « tarifs » imposés à l’ensemble de la planète se révéleront tout aussi inefficaces que le fameux programme DOGE, dont l’effet net attendu n’est plus aujourd’hui que de quelques dizaines de milliards de dollars, bien moins que les centaines initialement claironnées.
De même, les 300 à 400 milliards de rentrées fiscales obtenues annuellement grâce au « racket » du reste de la planète seront plus que contrebalancés par la perte de PNB américain, estimée à ce stade à plus de 500 milliards de dollars. L’issue la plus probable qui semble se dessiner est une dévaluation agressive de la monnaie américaine – y compris potentiellement au prix de la décrédibilisation de la FED – de manière à favoriser artificiellement un rebond de la croissance, par une guerre monétaire digne de 1933 ou 1971.
Le second événement, passé largement inaperçu, remonte au sommet des 10-11 mai à Genève, qui fut présenté comme une trêve dans la guerre commerciale entre Washington et Pékin. En réalité, la Chine, bien loin de s’entendre avec les États-Unis, leur a signifié le déclenchement progressif du « découplage » des deux économies, enterrant la globalisation des deux précédentes décennies.
Le comportement erratique de Donald Trump avait convaincu Pékin de l’impossibilité d’une relation durable, tandis que les négociations de Nvidia avec les deux États ont, depuis, conforté l’empire du Milieu dans l’idée que le rapport de dépendance relative lui est désormais favorable. La Chine parvient à s’assurer un accès à la haute technologie américaine, tandis que l’Oncle Sam découvre chaque jour un peu plus sa dépendance aux 35 % de parts de marchés chinoises du manufacturing mondial.

Ces deux cassures majeures infligent aux sociétés françaises une double peine. D‘une part, la fin de la course effrénée à l’endettement public n’affecte pas seulement les États-Unis, mais également les autres grandes puissances, à l’exception notable de l’Allemagne. D’où la question pour chaque chef d’entreprise : à quel point mon chiffre d’affaires a-t-il historiquement bénéficié, directement ou indirectement, de largesses publiques aujourd’hui sous pression ?
D’autre part, le découplage entre les deux principales économies mondiales va déboucher, pour les multinationales, sur une double structure de coûts. La reflation structurelle qui en découlera sera de plus renforcée par l’accélération du réchauffement climatique – source de perturbations de l’offre – et par les retards des gains de productivité attendus de l’Intelligence Artificielle.
D’où le défi pour nos dirigeants d’entreprise : comment repenser leur business model en privilégiant la fonctionnalité du produit ou du service, de manière à améliorer la valeur ajoutée perçue par les clients tout en réduisant leur base de coûts ? A l’instar de ce que les drones ukrainiens nous démontrent en matière de défense et de ce que les monnaies digitales, dont les « stablecoins », nous promettent en matière de transferts de paiement.
Voilà un excitant défi à relever, permettant de souhaiter de manière contre-intuitive la « Bienvenue en stagflation ! » à tous ceux qui décideront d’orienter cette rentrée vers le pouvoir de l’imagination.