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Quatre cents, ils étaient quatre cents en arrivant en gares. Austerlitz pour ceux partis de Cahors, Brive la Gaillarde ou Limoges, gare de Lyon pour ceux de Clermont Ferrand, Vichy, Moulins ou Nevers, quatre cents venus clamer leur colère contre l’état (et l’Etat ?) des deux pires lignes laissées à l’abandon par la SNCF, rebaptisée pour la circonstance « Société Nationale des Corails Fatigués » sur les banderoles brandies par des voyageurs exaspérés.
Ils étaient conduits à Paris par les édiles locaux, députés, sénateurs, maires, conseillers départementaux ceints de leurs écharpes « Bleublanrougisées », accompagnés par quelques entrepreneurs agacés. Joli sujet récurrent pour La Montagne, le quotidien régional.
Nous avons déjà tout dit ou presque sur ces deux lignes oubliées depuis cinquante ou soixante ans par la technocratie du septième arrondissement parisien. Malgré les retards, les trains supprimés, leur vétusté, leur confort tout relatif, elles sont toujours bondées, et lorsque je descends presque chaque semaine sur le quai arboré de ma petite gare « Playmobil » d’Uzerche, en Corrèze, à quelque heure du jour ou de la nuit, bien sûr quand le train n’est pas annulé, j’y croise toujours une foule raisonnable d’ « usagers » réguliers, heureux de « faire le pont entre nos terroirs et la capitale » et de retrouver leur port d’attache
Nos quatre cents protestataires voulaient légitimement rencontrer Philippe Tabarot, le présumé ministre des transports. Mais sait-il lui-même seulement qu’il l’est ? Celui-là n’a pas cru de son devoir de les recevoir, ignorant sans doute qu’il n’y avait pas en France que Paris et les rives de la Méditerranée.
Le silence d’un ministre
Sachez, monsieur le ministre, qu’il y a dans ces contrées trop méconnues quelques fleurons de l’industrie française : Andros entre Lot et Corrèze, le siège de Legrand et quelques célèbres porcelainiers à Limoges en Haute Vienne, le siège de Michelin à Clermont Ferrand et le géant semencier coopératif européen Limagrain à Saint Beauzire, entre autres, forts de plusieurs dizaine de milliers de collaborateurs, soucieux de pouvoir circuler dans d’honorables conditions dans notre pays. « Le Limousin et l’Auvergne seraient-ils le tiers monde en matière de transport ferroviaire? ».
Monsieur le ministre, votre indifférence, sinon votre mépris, sont-ils convenables ? Un simple communiqué confirmant l’intérêt que vous portez à l’affaire est-il acceptable ? Est-ce là le soutien nécessaire au développement des régions, une réponse aux besoins croissants de mobilité et un concours décisif au renforcement de l’industrie française ? Est-ce là une marque d’encouragement à la solidarité et au bienfondé du mot d’ordre du moment : « travailler plus » ? Enfin, vous aviez bien fait les choses : ce train de la colère était arrivé pile à l’heure, attendu par une meute de journalistes. Par contre le mien, le soir même, avait disparu presque sans préavis ! Serait-ce une vengeance ?

Au retour au pays, deux jours plus tard, les commentaires amusés ou désespérés de mes compagnons de voyage fusaient. Ne pas avoir trouvé la voiture qu’ils avaient réservé ne les étonnait pas, non plus qu’une réparation impromptue en gare de Vierzon, si chère à Jacques Brel, et donc d’un léger retard corollaire de vingt-cinq minutes suffisant pour échapper à une compensation. Les habitués du café du village, peu coutumiers de ces lignes, avaient oublié l’épisode. On y évoque la récente commémoration des évènements d’avril 1944, les traditionnels dépôts de gerbes suivis, comme il se doit, d’un apéritif de rigueur honoré par de nombreux habitants, signes d’un visage souvent estompé de communes rurales vivantes.
Et la vie reprend sa place
Les discussions reprennent naturellement sur les errements du monde et autres trumperies ou poutineries, sur l’appel pathétique du Premier Ministre, encore en 2024 et déjà en 2026, à la recherche de quelques quarante milliards et sur la menace, pour les plus anciens, d’un examen médical pour mériter son permis de conduire. La Montagne en a fait sa « Une » vendredi. Il est vrai qu’il est difficile, ici, de survivre sans automobile !
On refait devant un café la partie de tarot du dernier jeudi et le tournoi de pétanque autorisé par un climat soudain estival, comme un « teasing », une bande annonce, pour supporter les très violents orages à venir pendant le week-end pascal, aussi inédits que les récentes chaleurs passagères. Décidément, la terre file un mauvais coton. De mémoire d’autochtone, on n’avait jamais vu çà !
Le printemps avance malgré les embuches, les glycines, les lilas et les iris supplantent de bleus, de mauves et de violets les somptueux camélias, les jonquilles et les tulipes primesautières. De jeunes feuilles vert tendre cachent les éphémères fleurs blanches des cerisiers. Il faut ici comme ailleurs songer à remplir sa déclaration de revenus. Chouette, Bruno Retailleau a fait une courte escale en Corrèze, et l’on a vu Stéphane Bern visiter Beaulieu sur Dordogne, candidat au titre de « village préféré des français ». Les deux semblent satisfaits. Le CA Brive en est à sa cinquième victoire successive du championnat de France de rugby ProD2, et le Sporting club de Tulle peut rester en Fédérale 1. Nous ne sommes donc pas totalement perdus.
Dimanche, les cloches sont revenues à l’heure de Rome : elles n’ont pas pris le train ! Elles ont, sous une pluie battante, disséminé leurs chargements de chocolat dans les massifs détrempés des jardins, pour le plus grand bonheur des enfants.