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Ce changement de gouvernement est une opportunité pour réfléchir à une impulsion différente en termes de stratégie numérique de la France.
Après dix ans de marche forcée au rythme de la start-up nation, il est temps de constater que cette stratégie n’a pas donné les résultats escomptés à l’échelle de l’État, de l’économie ou des citoyens. La transformation numérique de l’État était censée nous apporter une plus grande simplicité, une plus grande efficacité et une réduction des coûts. Sur ces trois points, hélas, nous avons échoué.
Au niveau de l’État
Si certains services ont l’apparence de la simplicité, ils ne font que masquer une bureaucratie bien analogique qui montre des signes de faiblesse. Prenons le renouvellement d’un passeport ou d’une carte d’identité : la simplicité du formulaire en ligne n’élimine pas les délais très importants pour son obtention.
Sur l’efficacité, il y a beaucoup à dire. Contrairement à un pays comme l’Estonie, nous n’avons pas réussi à instaurer une confiance dans les algorithmes. Pour de nombreux parents, un service comme Parcoursup reste un logiciel opaque dont les choix sont souvent contestés.
Enfin, en ce qui concerne les coûts, le discours moderne est contredit par le monstre informatique créé par les grandes SSII, qui dévorent avidement les budgets sans réussir à sortir les produits. Prenons l’exemple du logiciel Scribe, qui aurait dû rendre la Police plus efficace, et qui n’a jamais vu le jour malgré les 12 millions d’euros engloutis par le prestataire.
L’État ne doit pas ressembler à une start-up ; il doit être une horloge suisse numérique, un outil capable de répondre à toutes les demandes avec précision, loyauté et, surtout, la confiance des citoyens. Pour cela, une seule solution : comme pour les JO, il faut y mettre les moyens, fixer des échéances et recruter les meilleurs profils. Des profils avec de vraies compétences techniques.
Pour notre économie
Il va falloir accepter que la stratégie numérique consistant à tout miser sur les start-up soit un échec. Tout d’abord parce qu’un écosystème de start-up ne produit qu’un très petit nombre de succès. Ensuite parce que les sorties possibles n’existent pas vraiment en France. Les grandes entreprises du CAC40 ne souhaitent pas, ou ne savent pas, acquérir des licornes, et les sorties ne sont possibles qu’à la Bourse américaine, ce qui ne laisse de chance qu’aux acteurs ayant une vraie stratégie internationale. Beaucoup de ce que nous appelons des licornes sont en réalité des PME technologiques. Avec des marchés locaux et des possibilités à l’export, elles auraient pu bénéficier d’outils financiers adaptés. Les obliger à croître trop vite les fragilise dans un environnement économique dégradé.
Il faut ensuite comprendre que notre dépendance aux GAFAM a plombé notre économie. Entre 20 et 30% de nos investissements (et de nos profits) sont capturés par ces services incontournables. Depuis 20 ans, à travers mes start-up Netvibes et Jolicloud, mon passage au Conseil national du numérique, et la mission que j’ai réalisée pour le gouvernement, je plaide pour que nous développions des alternatives.
Construire des plateformes alternatives nous donne des options pour l’avenir, car de la culture à la cybersécurité, nous avons tous les talents et le savoir-faire. Ce que nous n’avons plus, ce sont les vecteurs de croissance (mobile, cloud, réseaux sociaux), qui sont tous extra-européens.
La France, avec son histoire numérique, pourrait être le moteur d’une véritable stratégie d’émancipation logicielle en Europe.
Vis à vis du citoyen
Le rôle de l’État est de protéger l’intégrité numérique de tous ses citoyens. Cela signifie les protéger face aux guerres cybernétiques (cyber) et cognitives (désinformation) et garantir la protection de nos doubles numériques dans le monde de l’IA. D’où l’importance d’un vrai service d’identité numérique qui offre toutes ces protections.
La France n’est pas en retard dans le numérique ; elle a cédé pendant une décennie aux sirènes de la communication. Le choix qui se présente à nous est de revenir dans le jeu en acceptant d’aborder les grands sujets et de mener les grands combats technologiques. Il y a 30 ans, un téléphone mobile sur trois était fabriqué en France, et nous étions le leader des télécommunications. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde numérique créé par d’autres. Il est encore temps de nous réveiller et de relancer nos ingénieurs sur ces projets ambitieux. Car il y a une chose encore plus importante que d’être une nation numérique, c’est d’être une nation qui compte dans le numérique. Au travail !