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Le 19 mars dernier, Arnaud Montebourg a prononcé à l’institut Rexecode, un institut privé d’études économiques au service du développement des entreprises, un discours fondateur actant selon lui la « juste fin » de la mondialisation. Sans Doute est particulièrement heureux de proposer à ses lecteurs en exclusivité et en intégralité les propos de l’ancien ministre du Redressement productif qui détaillent une vision d’ensemble au service d’une idée phare : le protectionnisme est une nouvelle forme de progressisme. Aux lecteurs de Sans Doute de se faire une idée, mais cette démonstration argumentée mérite que l’on s’y penche de très près.
Première partie : La condamnation occidentale de la mondialisation
La mondialisation est en vérité condamnée par les populations occidentales. C’est ce qu’il faut comprendre puisque ce sont elles qui décident in fine du destin de leur société et donc de leur économie. La mondialisation a épuisé moralement l’Occident, et son rejet s’est enraciné dans les pays Occidentaux. Elle a appauvri les classes populaires qui congédient leurs dirigeants fautifs d’être complices de la mondialisation et continueront à les congédier les uns après les autres pour choisir et placer des protecteurs à leur place. Le Trumpisme comme le Brexit en sont les deux premières expressions (2016). Avec Madame Meloni (2022), nous n’en sommes pas très loin. En France, nous avons une alternance qui se profile, assez ressemblante avec ce qui s’est passé aux États-Unis et dans tous les pays européens ou dans les pays occidentaux, y compris en Amérique latine. Nous comprenons alors comment les grandes controverses du monde occidental s’organisent et s’ordonnent autour de cette question fondamentale : pour ou contre le retour des frontières économiques ou des frontières tout courts.
Pour instruire la compréhension de ce rejet puissant, massif et durable, il faut reprendre le rapport officiel que Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, avait rendu à la demande du président Sarkozy, en 2007, sur la mondialisation intitulée : « Mondialisation et Intérêt national » Pour ou contre ? Quel est notre choix, nous, Français, dans la mondialisation ? On y retrouve cette phrase : « La mondialisation a mis en concurrence des vieilles classes ouvrières syndiquées avec 100 ans d’acquis sociaux, avec des esclaves des pays asiatiques qui n’avaient pas le droit de se rebeller, demander des hausses de salaire et obtenir des droits sociaux ». C’est une forme prémonitoire de Trumpisme que traduit cette phrase d’il y a presque 20 ans, et qui montre comment cette rébellion des classes populaires et moyennes appauvries a condamné la mondialisation, jugée à juste titre « instable, déloyale et inégalitaire ».
Instable, car transmettrice de toutes les crises ; nous n’avons toujours vécu que dans des crises qu’ont invariablement payé les mêmes classes sociales.
Déloyale, car impossible à combattre, ce qu’expliquait déjà Hubert Védrine. On pourrait ajouter comme cette phrase contenant un trait de génie du philosophe allemand Jurgen Habermas : « La mondialisation, c’est l’effondrement du pouvoir d’achat des bulletins de vote ».
Enfin inégalitaire, parce que l’augmentation exponentielle des inégalités a trouvé sa fertilité dans ce système économique très, trop ouvert, et finalement extrémiste ; un rapport McKinsey, -ce n’est pas une officine mélenchoniste- qui avait fait l’analyse de ce qui s’était passé au cours de deux décennies en matière de distribution des revenus : entre 2005 et 2014, 70% des ménages des pays développés, soit 580 millions de personnes ont vu leurs revenus stagner ou baisser, excusez du peu ! On le voit autour de nous en traversant la France des Sous-Préfectures. Sauf l’Ile de France, toutes les régions françaises ont un revenu par habitant désormais inférieur à la moyenne européenne (source Eurostat). Vous sortez de Paris (Paris est devenue Monaco), allez sur mon lieu de naissance, dans notre fière Province, on y voit la lente dégringolade économique et l’appauvrissement des gens. C’est une humiliante et triste réalité.

Golfe Saronique, Nord de la Grèce : Les porte-containers, symbole d’une mondialisation devenue sauvage
En guise de comparaison, que s’était-il passé dans la décennie précédente, celle qui avait à peine inauguré la mondialisation, dans les années 2000, date de l’entrée de la Chine sans aucune contrepartie dans l’Organisation Mondiale du Commerce ? Entre 1993 et 2005 : seulement 10% des ménages des pays développés avaient vu leurs revenus stagner ou baisser, soit seulement 10 millions de personnes.
Pendant toutes ces années d’appauvrissement-là, l’économie a continué à fonctionner, avec de la croissance malgré la grande récession de 2008-2009 et la crise du Covid. 82% des richesses créées sont allées entre les mains des 1% les plus riches des ménages. On comprend mieux les fondamentaux de la rébellion politique à l’œuvre : Trump, le Brexit, les Gilets Jaunes, Meloni, Orban et Le Pen sont les branches du même arbre auxquelles les classes moyennes et populaires s’accrochent pour relever la tête et sortir de cette mondialisation destructrice de leurs intérêts.
Il y a deux pays occidentaux dans lesquels les sondages sur la mondialisation sont les plus négatifs depuis 25 ans, les Etats-Unis et la France. On observera que c’est précisément dans ces deux pays-là qu’on trouve des points communs de résistance. Ce sont deux pays qui ont des déficits jumeaux : déficit du commerce extérieur traduisant une sévère désindustrialisation et déficit public traduisant le besoin de compenser par la dette ce que l’inadaptation à la mondialisation ne pouvait assurer, à savoir le pain quotidien. Le premier déficit, du commerce extérieur, enregistre les dégâts de la mondialisation et le second matérialise, par le surendettement public les tentatives de réparation par la dette publique de la mondialisation, une forme d’expression économique de la souffrance ressentie par la population résistante.
Ainsi, la remontée des droits de douane est l’équivalent politique d’une reprise de contrôle par la population de son économie. La réélection de Trump traduit l’ouverture d’un cycle politique au long cours. C’est plutôt un Kondratiev qu’un Juglar dirait-on en économie. Il est fort possible que nous retrouvions, c’est une intuition, presque une conviction, par voie d’escalades successives et réplications des hausses de droits de douane, le niveau des barrières douanières qui existait avant les accords de démantèlement de l’Uruguay Round, en 1994, sa concrétisation à Marrakech et la naissance de l’Organisation Mondiale du Commerce. La mondialisation aura donc duré trente ans. Elle va enfin se terminer, ce qu’il faut saluer.
Quand vous lisez le livre important de Susan Berger, professeur au Massachusetts Institute of Technology, « Notre Première Mondialisation », elle fait l’analyse de ce qui s’était passé au XIXe siècle et au début du XXesiècle. La mondialisation s’est arrêtée avec la guerre de 1914. Elle montre que c’est la dérégulation des marchés qui a amené les Nations à se jeter les unes contre les autres. À l’inverse du préjugé, ce n’est pas le protectionnisme qui fabriqua la guerre, mais au contraire la mondialisation débridée des échanges. C’est parce qu’il n’y avait plus de barrières douanières que les grandes puissances industrielles occidentales se sont combattues autrement que par la protection frontalière.
Il est intéressant d’observer les similitudes entre cette période avant la 1ère guerre mondiale et celle que nous sommes en train de vivre. C’est d’ailleurs toujours de l’Est de l’Europe que se transmettent politiquement les démons de la conflictualité. Soyons donc pleinement avertis de cette leçon de l’histoire.
Sur le plan économique, un signal devrait nous alerter : la continuité des politiques de remontée des droits de douane américains se poursuit par-delà les alternances politiques puisque les droits de douane de Monsieur Trump durant son premier mandat n’ont pas été abandonnés par Monsieur Biden. D’ailleurs, Monsieur Obama avait lui-même commencé à remonter les droits de douane. Nous avons-là une tendance profonde étrangère aux accès conjoncturels à caractère électoral et politique. C’est donc bien une nouvelle configuration stratégique qui s’installe durablement sous nos yeux.