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A l’aune de ce sacre européen, l’occasion est belle de revenir sur ce que le PSG dit du Qatar entre puissance douce et conquête des cœurs, intérêts économiques et recherche de légitimité internationale.
Un triomphe qui sert la puissance d’un État
Le 5-0 infligé à l’Inter Milan a enthousiasmé l’Europe entière mais il ne doit pas occulter les réalités géopolitiques sous-jacentes. Depuis son rachat en 2011 par Qatar Sports Investments (QSI) et dans la lignée de l’obtention de la Coupe du monde 2022, en décembre 2010, le PSG a englouti plus d’1,5 milliard d’euros en transferts, selon les estimations de Forbes et plus de 2,2 milliards si l’on en croit The Athletic.
Une dépense considérable et un investissement délibéré que l’on doit à la Vision 2030 de l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani. Pour l’émirat, le football permet en effet plusieurs choses très utiles. C’est d’abord un levier de diversification face à la dépendance aux hydrocarbures. Le PSG est un actif dans un portfolio sportif de plus en plus dense. Acheté 70 millions, le club vaudrait désormais 5 milliards selon son président, Nasser Al Khelaïfi.
Mais le PSG est aussi un des moyens de l’influence qatarie dans le sport. C’est même le fer de lance d’une présence plus large de l’émirat dans le football, une présence qui nous conduit jusqu’à Eupen en Belgique, Braga au Portugal et bientôt Malaga en Espagne. Sans parler de l’importance de BeIn Sports, premier détenteur de droits sportifs mondiaux ou du rôle incontournable du président du PSG, proche de l’émir et ministre sans portefeuille qui siège au comité exécutif de l’UEFA et dans nombres d’autres instances de décision et de lobbying comme l’ECA, l’Association des Clubs Européens.
“Le Qatar ne se contente pas d’acheter des clubs : il construit un réseau capable de modeler les équilibres du football mondial” soulignait un récent rapport du Trésor français. Cela fait des années qu’on l’écrit. L’émirat a compris que le sport pouvait offrir une rentabilité double : économique par la valorisation des actifs et l’image de marque qu’il crée mais aussi géopolitique par l’acquisition d’une visibilité mondiale que l’on peut travailler et romancer pour mieux servir son influence et sa diplomatie. Et cela fait près de vingt-cinq ans maintenant qu’il déploie cette stratégie qui excède la simple diplomatie sportive.
Car le PSG n’est pas qu’un club de premier rang mondial ayant connu la deuxième plus forte progression en termes de valorisation derrière les Golden State Warriors, la franchise NBA de la baie de San Francisco. C’est aussi un instrument politique de positionnement, d’influence et de diplomatie. Dans un monde où l’attention que l’on vous accorde est proportionnelle à votre importance, pour l’un des plus petits émirats du Golfe arabo-persique, la quête de lumière a une importance stratégique. Savoir se mettre en scène, c’est exister. Et survivre.
Le Qatar reste un petit État entouré de géants hostiles, dont l’existence même dépend de sa capacité à se rendre visible et indispensable sur la scène internationale. Le blocus mené par l’Arabie saoudite et ses alliés entre 2017 et 2021 l’a rappelé. Rien n’est acquis. La résilience de l’émirat passe donc par cette urgence, celle d’être vue, reconnue et appréciée des opinions internationales.
Qatar everywhere
La finale du PSG de Munich a offert une démonstration parfaite de cette volonté qatarie. Des panneaux publicitaires de Qatar Airways dans le stade aux maillots des deux clubs en passant par l’avion qui a ramené les joueurs triomphants du PSG à Paris, rien n’a manqué. L’émirat a transformé l’événement en une vitrine de son propre rayonnement et de son importance acquise. La victoire en Ligue des Champions de Paris s’est mise au service de la marque Qatar et du pouvoir qatari.
Et personne n’est dupe. Cette victoire n’appartient pas qu’au PSG. A côté de l’excellence sportive d’une équipe menée de main de maître par Luis Enrique, ce que l’on célèbre, c’est la rencontre achevée entre intérêts sportifs et géopolitiques. Pour ne pas parler de symbiose.

Emmanuel Macron s’en est d’ailleurs chargé le premier, en bon Marseillais conscient de ses responsabilités. Il a reçu les joueurs à l’Elysée et dans un discours d’une rare diplomatie, il a immédiatement “remercié le Qatar, qui a toujours été un actionnaire exigeant, qui a réengagé, qui a réinvesti dans ce club, qui ne l’a jamais lâché.” Lorsqu’il a ensuite salué “une victoire française”, il a provoqué une réplique tout aussi politique du président du PSG : “c’était très émouvant, honnêtement, quand ça vient du président de la République. […] C’est la première fois que je sentais toute la France derrière nous.”3
A sa manière, Nasser Al-Khelaïfi a poursuivi ce narratif lors des célébrations à Doha, une fois de retour au pays. Il a rappelé les liens forts entre le Qatar et la Vème République : le PSG “est devenu une source de fierté pour le Qatar et la France dans le monde entier.” Dont acte. Fin de la partie.
Le PSG, laboratoire d’une diplomatie du spectacle qui paie
Le club parisien fonctionne comme une extension de la politique étrangère qatarie. Il mêle la séduction économique via les opportunités croisées qu’il offre, un support de récit pour les deux pays et un instrument symbolique au service du pouvoir et de la puissance à Doha mais aussi à Paris.
Les frontières entre sport, pouvoir et puissance sont définitivement brouillées. L’heure est à la footballisation du politique. Les buts de Kvara, de Barcola ou de Désiré Doué ne sont pas oubliés. Loin de là. Ils comptent double. A la manière du pressing sans répit d’Ousmane Dembélé face à Yann Sommer, rien n’échappe à l’usage qui est fait du sport et du PSG.
Le sport et les trophées permettent tout. Ils favorisent l’oubli et reconfigurent les hiérarchies de l’information. Dans notre monde hyperconnecté où sévit la guerre des imaginaires, une victoire vaut plus que tout autre récit. Avec une Ligue des Champions, la situation judiciaire de Nasser Al-Khelaïfi est oubliée, tout comme les polémiques sur les chantiers de Qatar 2022. Le rôle d’intermédiation qui fait du Qatar, un partenaire capable d’échanger avec les Talibans, le Hamas et les Frères Musulmans est relégué au second plan. Plus personne ne se rappelle des difficultés de Benjamin Netanyahu avec le Qatargate qui éclabousse l’Etat hébreu. Le sportwashing n’a qu’à bien se tenir, il n’a pas fini de servir.
Quant aux élections municipales et présidentielles en France, elles approchent à grand pas. Personne ne l’oublie. La victoire a cent pères, disait John Fitzgerald Kennedy, et ses lauriers peuvent toujours servir les audacieux. Et surtout ceux qui s’y associent. D’où la présence lors de la réception des joueurs de Yaël Braun-Pivet ou de Rachida Dati. Quant aux absents, ils ont toujours tort. Demandez à Anne Hidalgo, pourtant maire de Paris.
D’aucun soulignait en leur temps une vertu du sport bien connue des Qataris, celle de savoir gérer les critiques en Occident par le sport tout en consolidant leur influence dans des régions moins regardantes sur les droits humains et plus attrayantes comme l’Afrique ou l’Asie. Avec la victoire du PSG, l’émirat a montré la pertinence des stratégies d’influence par le sport. Le soft power est depuis longtemps une idée dépassée. Avec Paris, il s’agit de rêver encore plus grand.