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DEUXIEME PARTIE : ITRI-CAPOUE
La descente vers Itri permet de repérer quelques éléments de basalte d’époque jusque l’arrivée dans la ville où tout un parking de nouveau est installé sur une portion d’origine de la via tandis que le macadam a recouvert le reste.
Itri que l’on traverse le long de la via Appius Claudius : impossible de se tromper donc.
La route redescend ensuite sans discontinuer vers la mer dans un paysage de villas maritimes, pour arriver ensuite au bord d’un monument totalement improbable et pourtant parfaitement réel : le mausolée de Cicéron.
Cicéron, l’homme qui a tant fait souffrir de collégiens et de lycéens sur de multiples générations de latinistes contraints et forcés par leurs parents, mais aussi objectivement le génie de la politique et de la littérature romaine, a donc une tombe parfaitement accessible, sur un bord de route, close par quelques palissades en mauvais état ?
Ce fut pour moi une immense surprise, bien que selon toute probabilité le mausolée ne contienne pas le corps de l’illustre orateur et homme politique, de voir une dimension physique à l’un des pères de la philosophie politique, 21 siècles après sa mort dans des circonstances atroces à Formia : victime du rapprochement entre Octave et Marc-Antoine dans le contexte de la succession de César, il est proscrit puis exécuté : sont coupées les mains, coupables d’avoir écrit les Philippiques contre Marc-Antoine, puis la tête coupable de les avoir prononcées…
Le contraste entre cette route assez passante et la dernière demeure d’une des figures les plus marquantes de l’Antiquité, et finalement le relatif anonymat de cette tombe fut une forme de choc qui ne sera pas le dernier de ce périple plein de surprises…ainsi quelques centaines de mètres à peine plus loin de ce mausolée, de l’autre côté de la route, un abreuvoir romain en parfait état de marche sans protection d’aucune nature.
L’arrivée à Formia a pu nourrir donc quelques interrogations chez moi sur la conservation du patrimoine chez nos amis italiens…je n’étais pas au bout de mes surprises.
Formia en apparence est une station balnéaire assez commune qui s’étend sur un long front de mer, doublé d’un port assez fréquenté car c’est de celui-ci que partent les bateaux pour les îles Pontines et notamment la principale d’entre elle, Ponza.
Ponza est un des lieux favoris de la jeunesse dorée romaine. Il faut dire qu’elle a tout pour séduire, avec sa taille humaine, ses criques merveilleuses, ses falaises et ses petits restaurants traditionnels.
Mais au cours de l’Histoire, Ponza a connu une autre fonction qu’être le décor du « Spring break » des étudiants romains : c’était en effet le lieu de l’exil des Sénateurs proscrits par leurs pairs ou par les consuls, loin de Rome, avec une mer particulièrement dangereuse à cet endroit de la Méditerranée. Il était donc impossible de s’en évader.
Mais Formia derrière son front de mer recèle un secret bien gardé : un ancien quartier romain en plein cœur de la vieille ville que l’on atteint par des rampes assez raides pour déboucher sur un ensemble d’habitations en arc de cercle, schéma typique de la construction d’immeubles sur les fondations d’un ancien amphithéâtre romain, comme à Lucques avec sa célèbre piazza del Anfiteatro.
Puis en passant sous les arcades, on découvre un escalier qui descend dans les entrailles de la ville avec une personne qui vous attend au bout d’une cinquantaine de marches pour vous proposer de découvrir le plus ancien réservoir d’eau douce encore en fonctionnement …il date du premier siècle de notre ère : 1200 mètres carrés, soutenu par 53 piliers sur trois nefs, 7 mètres sous plafond, bref une cathédrale construite sous terre dont la fonction de recueil des eaux de pluie n’ a été interrompue en 21 siècles que de septembre 1943, date des bombardements alliés sur la ville à 2006, fin des travaux de reconstruction financés par l’Union européenne.
Pendant soixante ans ce réservoir était devenu une quasi décharge de gravats jusqu’ à cette rénovation spectaculaire qui met en valeur le génie des ingénieurs hydrauliques de Rome. Ce réservoir permet encore aujourd’hui de stocker l’eau de pluie, de la traiter puis de la distribuer aux habitants de la ville. Elle est stockée à température égale toute l’année dans ce décor à la fois totalement majestueux et improbable.
C’est sous ce charme de l’histoire reliée à aujourd’hui que je reprends le chemin le lendemain pour une journée le long de fronts de mer modernes et sans intérêts particulier jusqu’à la frontière du Latium et de la Campanie, marquée par la traversée du fleuve Garigliano.
Juste avant celui-ci, un site archéologique d’une importance remarquable dont je n’avais absolument jamais entendu parler : Minturnae
Celui-ci se repère à l’avance en terrain plat par des vestiges d’un aqueduc imposant sur trois niveaux, mais rien en revanche ne laisse présager de sa valeur avant de franchir la billetterie à son entrée.
Sur un espace de plusieurs hectares on y trouve en effet, un théâtre incroyablement bien conservé, un forum traversé par la via Appia antica, et un macellum (ou halle de marché) dont une partie impressionnante de colonnades et d’arcs sont encore debout, sans compter les thermes bien sûr et un musée archéologique avec une collection statuaire de premier plan.
En en ce dimanche de septembre à la mi-journée, le plaisir d’avoir ce site pour soi seul, absolument seul…un grand vertige dans ces conditions vous prend, comme un dialogue avec les habitants qui ont vécu là il y a tant de siècles.
Une fois sorti de cet abime de contemplation, traversée du Garigliano par le pont historique construit par les Bourbons, et donc affublé d’une munificence très datée.
Le Garigliano est resté dans nos mémoires aujourd’hui car c’est à cet endroit que la ligne Gustav, tenue fermement pendant plusieurs mois par la Wehrmacht a été enfoncée en mai 1944 après l’offensive alliée grâce au Corps expéditionnaire français commandé par le Maréchal Juin et notamment les fameux « goumiers » marocains du général Guillaume qui enveloppent les troupes allemandes en passant par les monts Aurunces, réputés pourtant infranchissables. Le cimetière militaire français de Venafro – très bien entretenu- rend un hommage très émouvant à ces soldats musulmans morts pour la France, dont toutes les tombes dominées par un minaret et tournées vers la Mecque, voisinent avec une petite chapelle et les tombes des officiers venus de métropole.
Une fois ce pont traversé la trace de la via Appia antica tourne à droite pour se diriger vers la mer le long d’un canal d’eau douce bordé de petites embarcations et de pêcheurs du dimanche…à l’évidence le promeneur/randonneur est prié de na pas faire de bruit.
Puis la « trace », une fois à la limite de la plage, longe la lisière d’un bois en ligne droite sur plusieurs kilomètres, en pleine chaleur sans aucune ombre avec, par endroits, les premiers tas d’ordures abandonnées que je retrouverai désormais régulièrement… Autant dire que le marcheur est pressé d’arriver à l’étape, à Baia Domizia, station balnéaire sortie tout droit de la fin des années 1960 avec ses immeubles en crépi blanc et son architecture toute en volutes et rondeurs… Troisième semaine de septembre, déjà la morte saison, vitrines des commerces protégées par les rideaux de fer, restaurants fermés, et comme présence humaine de rares touristes allemands reconnaissables entre mille avec leurs chaussettes dans leurs Birkenstock.
Un petit hôtel posé sur la plage m’hébergera dans cette atmosphère d’un autre siècle donc…l’occasion néanmoins d’un bain de mer mémorable dans la mer Tyrrhénienne
Le lendemain j’aurai la preuve à la fois que ce tracé que je parcours a pris quelques libertés avec la route antique compte tenu du chemin emprunté mais également que celle-ci est toujours bien vivante, quitte à passer dans des endroits parfaitement improbables.
En effet les premiers kilomètres du tracé démarrent sur la plage : impossible de concevoir que les légionnaires romains passèrent par là dans un sable mou en bord de mer à devoir traverser l’eau de petits cours d’eau se jetant dans la mer.
Indubitablement en revanche, la via Appia antica ne passait pas loin parce qu’une fois arrivé au village de Baia Azzura Levagnole, on retrouve avec difficulté certes, des traces de basalte originel …dans le jardin d’une villa à l’arrière du village, protégé par un portail mais visible de l’extérieur.
C’est d’ailleurs dans ce village que le randonneur dit « au revoir » à la Méditerranée qu’il ne retrouvera que plusieurs semaines plus tard, à Tarente.
Un autre voyage commence à cet endroit, loin du Latium préservé et de ses stations balnéaires modernes : la traversée de la diagonale du vide italien, du nord de la Campanie et au sud des Pouilles. Une Italie plus pauvre, quasi essentiellement agricole et qui donne parfois le sentiment d’être abandonnée malgré les trésors qu’elle recèle.
Dès la sortie du village de Baia Azzura cette impression domine : les chemins sont moins bien moins entretenus ainsi que les abords des villages, dont l’architecture reste coincée dans les années 1950/60.
Ecrasés par la chaleur, ils s’espacent petit à petit dans une campagne qui mélange vergers de pommes et poires, et cultures de céréales avec des moyens mécaniques en retard d’au moins deux générations sur ce que nous voyons généralement dans les exploitations agricoles françaises.
Pour se repérer et rester au plus près de la trace antique, j’applique la règle vue plus haut : en cas d’hésitation toujours choisir l’offre la plus rectiligne, quitte à affronter quelques surprises !
Ce choix va d’ailleurs me conduire à prendre quelques décisions improbables dès cette étape : entre un chemin et un sentier qui s’enfonce dans un verger à priori le commun des mortels choisit le chemin…il faut donc faire confiance à son instinct et préférer le verger qui était effectivement le bon choix !
En l’occurrence, plus de deux kilomètres sous les arbres, ployant sous le poids des fruits d’automne prêts à être récoltés, avec le dos courbé à naviguer entre deux rangées bien alignées et savourant la légère incongruité de la situation : imaginer que bien que sur la bonne trace, la route antique à cet endroit n’est plus qu’un souvenir.
Un souvenir au point que lorsque ce chemin s’est achevé directement dans la cour d’une ferme dans laquelle j’ai débouché, au même moment que l’agriculteur propriétaire du lieu au volant de son camion, celui-ci a paru interloqué.
Il avait dans sa remorque une soixantaine de moutons et dans sa cour un randonneur globalement assoiffé et venu de nulle part. Lorsque je lui ai expliqué les raisons de ma présence et mon itinéraire, il m’a littéralement pris pour un fou…nous avons donc passé un bon moment ensemble pour une rencontre très chaleureuse.
Le soir fut une des rares étapes du voyage en pleine campagne dans une maison isolée, avant de reprendre cette traversée de la campagne campanienne, sans jamais croiser personne sur les routes et chemins, sauf les agriculteurs au loin sur leurs tracteurs. De temps à autre, des anciennes propriétés à l’abandon identifiées depuis la route par des portails en ruine…clairement cette région a connu un âge d’or disparu depuis longtemps. Les seules « masserias » rénovées sont devenues des hôtels, des chambres d’hôtes ou des lieux de réception en pleine campagne.
Le chemin finit par rejoindre une route rectiligne vers Capoue sur plusieurs kilomètres qui a la particularité de surplomber le tracé du TGV Rome-Naples et permet ainsi de constater le caractère effréné du trafic sur la voie dans les deux sens.
L’arrivée dans cette ville mythique pour les férus d’histoire antique ( les fameux délices de Capoue dans lesquels Hannibal et ses troupes carthaginoises se seraient abimés, selon la vulgate répétée depuis Tite-Live, en 216 avant JC, permettant aux troupes romaines de se reconstituer après leur terrible défaite à Cannes, dans les Pouilles actuelles, pour mieux ensuite vaincre l’envahisseur venu d’Afrique) se fait sans aucune traversée d’une quelconque banlieue ou zone d’activité commerciale : directement de la route aux tours du Moyen-Âge !
La ville fut en effet modernisée au 13eme siècle sur instruction expresse de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, figure majeure de l’histoire de la région sur laquelle je reviendrai plus longuement, plus tard dans ce récit, dans le cadre de son conflit avec les États pontificaux : elle fut couverte de tours et d’arcs imitant l’antique pour assumer un pouvoir impérial contre le pouvoir spirituel du Pape.
Mais la magie de Capoue se trouve un peu plus loin dans l’ancienne Capoue antique qui s’appelle aujourd’hui Santa Maria di Capua Vetere : cette ville abrite en effet des ruines romaines d’importance majeure regroupées autour de son amphithéâtre, le deuxième plus grand de tout le monde romain derrière le Colisée : 170 mètres de long dans son grand axe, 140 mètres dans son petit axe : il pouvait accueillir plus de 50 000 spectateurs. C’est un monument particulièrement impressionnant par sa taille et ses structures architecturales que l’on visite sous les tribunes, toujours dans des conditions idéales : personne ou presque, alors qu’au Colisée….
Une majesté incroyable se dégage de ce site en pleine ville mais parfaitement dégagé grâce à une superbe esplanade devant, comme un hommage à ce passé grandiose.