Partager cet article
Depuis un siècle au moins, l’idée que l’économie est pour beaucoup affaire de psychologie n’est plus contestée. Bien que sans avoir de titre universitaire ni de track record établi en matière de gestion des finances publiques, Philippe Bailly ose donc pour Sans Doute verser quatre idées ou propositions qui paraissent de bon sens au débat sur l’état de nos finances publiques. Et sur la façon de les améliorer.
1 : La confusion entre fiscalité du patrimoine et imposition du revenu comme défaut fondateur de la taxe Zucman.
Présentée de manière sommaire, la taxe Zucman n’est pas loin de représenter la quasi-pierre philosophale : réaliser jusqu’à la moitié de l’effort de 44 Mds€ présenté comme indispensable par François Bayrou au début de l’été en mettant moins de 2000 foyers à contribution. Dans de telles conditions, on peine à comprendre que le pourcentage des Français qui y sont favorables ne dépasse pas les 86% évoqués dans une enquête IFOP réalisée mi-septembre pour le Parti Socialiste. Une arithmétique basique laisserait prévoir une adhésion supérieure à 99%.
A lire Le grand détournement[1], on pourrait dans ces 14 % manquants voir une sorte de solidarité de classe irrationnelle, entre l’upper class, qui est de facto la plus taxée sur ses revenus, et le club très fermé des « ultra-riches » que vise Zucman, dont le taux d’imposition sur le revenu retombe aux alentours de 25% et le patrimoine professionnel totalement exonéré.
La forte exposition dont a bénéficié le projet a aussi amené à pointer certaines de ses difficultés de mise en oeuvre, s’agissant en particulier des entreprises – start-ups particulièrement – dont la valorisation est élevée, mais qui, faute de profits, ne distribuent pas à leurs actionnaires les dividendes qui leur permettraient le cas échéant de s’acquitter des 2% prévus par l’économiste.
Illustration, au-delà, de la difficulté du mélange de l’imposition des revenus et de la fiscalité du patrimoine sur lequel repose le projet. Au risque que les dysfonctionnements de chacune se cumulent au lieu de se compenser.
Plutôt que de pousser le débat sur la réduction du déficit budgétaire vers les leviers de diminution des dépenses, l’espoir de recettes miraculeuses que la taxe Zucman a fait naître, l’a en tout cas fait dériver vers le côté recettes, dans un désordre politique à peu près total, dont les allers-et-retours sur la suppression de l’abattement pour « frais professionnels » des retraités n’est qu’une illustration.

2 : Permettre à chaque Français d’être conscient de sa participation au financement de la Nation… des services qu’il en tire et de sa capacité à contribuer à l’optimisation de la dépense publique.
Aller à rebours de l’élargissement continu du pourcentage de la population qui en est exempté pour faire en sorte, à l’inverse, que l’ensemble des Français paient, même pour un montant très limité, l’impôt sur le revenu, permettrait, une fois par an, un double exercice de « pédagogie de la dépense publique » (combien ? pour quelle utilisation ? …) : lors de la déclaration de revenus et au moment de l’émission des avis d’imposition.
Compenser la mesure par une réduction du taux de TVA – sur les produits de la vie courante particulièrement – garantirait que le pouvoir d’achat des plus modestes n’en soit pas affecté, et marquerait la reconnaissance symbolique qu’eux aussi contribuent, dans les faits, aux recettes de l’Etat (via les impôts indirects).
3 : Pratiquer le même exercice sur les dépenses de santé en renonçant au reste à charge 0.
Dans le même esprit, faire payer dès la sortie du cabinet, de la pharmacie ou du laboratoire une participation forfaitaire de 1€ non remboursable conduirait à l’émission d’une facture permettant au patient d’avoir conscience des montants pris en charge par la société, et encouragerait une pratique plus responsable en termes de demande de soins, alors que le tiers payant, et la combinaison Sécurité Sociale / mutuelle, aboutit à ce que celui-ci n’ait plus la moindre idée du coût des consultations ou actes chirurgicaux effectués, examens réalisés, médicaments prescrits… puisqu’il n’y a plus de débours ni l’émission du moindre relevé de coûts.
Dans un premier petit pas, la Sécurité Sociale a mis en place ces dernières semaines l’envoi de mails d’information sur les dépenses prises en charge. Mais ces messages arrivent, par définition, de façon très décalée dans le temps par rapport aux soins eux-mêmes, supposent de se connecter à son compte AMELI, ne sont pas présentés – euphémisme – de la façon la plus limpide… et ne peuvent prétendre finalement à remplir cet objectif de responsabilisation.
4 : Permettre au contribuable que le citoyen soit mieux éclairé.
Comme pour les entreprises, la digitalisation croissante des tâches, et l’accélération que l’utilisation de l’IA permettra demain, doivent permettre une gestion plus efficace de l’Etat et sont donc sources d’économies. Mais on cherche une évaluation de ces économies dans les présentations des projets de lois de Finances successifs.
De la même façon on n’a pas souvenir d’une étude structurée des possibles doublons existant entre les – au moins – cinq échelons territoriaux (Etat, région, département, communauté de communes ou d’agglomérations, commune) et des possibilités d’optimisation qui en découlent. On cherche encore l’explication raisonnée / rationnelle du taux de 5% du PIB à consacrer au cours des prochaines années aux dépenses militaires, au-delà de la pression politique des Etats-Unis, de même qu’on n’a pas lu – le grand public en tout cas – de prévisions sur le retour que peuvent en espérer les entreprises françaises du secteur de la défense nationale.
C’est d’une plus grande transparence dans les dépenses de l’Etat comme de l’association de tous à son financement qu’on peut attendre, nous le pensons, un plus grand consentement à payer, une plus grande attention partagée à éviter le gaspillage et faire le meilleur usage de l’argent public et, finalement, une mobilisation collective à la réduction du déficit public. C’est en tout cas ma conviction.
[1] Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, Allary Editions