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Un musée, des arènes et… l’indifférence !

Le musée de Montmartre
Je les vois remonter vers la place du Tertre, direction le Sacré-Cœur. Pour une vue sur Paris à nulle autre pareille. C’est à peine si, en passant, ils ont jeté un œil à la bannière indiquant le musée de Montmartre. Trop occupés à trouver le meilleur angle pour leurs selfies. On n’est pas là pour admirer Paris à ses pieds, rêver de la ville la plus glamour ou regarder un à un les monuments qui s’offrent au loin. On est juste là pour « faire la Butte ». Et on repart, pas de temps à perdre.
Serais-je injuste en pensant que quatre-vingt pour cent des plus de onze millions de visiteurs seront incapables de dire ce qu’ils ont retenu de leur passage…
Pourtant, qu’est-ce qu’une heure dans sa vie pour pousser la porte de ce petit musée, rue Cortot, qui entame la descente ver la partie nord de Montmartre. Moins abîmée que son alter-ego du côté sud (où pourtant je suis né, au pied de la rue des Martyrs) Elle garde encore un peu l’esprit village. Pour combien de temps ?
C’est un petit musée créé à l’initiative de Paul Yaki (André Rougé de son vrai nom). Originaire du Sud-Ouest, il s’installa à Montmartre vers 1906. Fonctionnaire des PTT, il a surtout la passion de l’Art et de la Littérature. Vers 1915, il rejoint la « Société d’Histoire et d’Archéologie du Vieux Montmartre » dont il deviendra le président en 1935. Très tôt, il pressentit que le Montmartre de sa jeunesse allait peu à peu disparaître. Finies les rues sales et insalubres. Finis les marlous qui se réfugiaient dans le « maquis » après leur méfait, sûrs que la police ne s’y risquerait pas : trop dangereux. Sorte de bidonville entre le Moulin de la Galette, la rue Girardon et la rue Caulaincourt, le maquis existait depuis le Moyen-âge. Appelé ainsi car l’enchevêtrement sauvage de petites maison faite de bric et de broc formait des pseudo rue où seuls ce qui y vivaient savaient s’y retrouver, comme dans le maquis corse. Il disparut en 1909 avec le percement de l’avenue Junot ; surnommée l’avenue Montaigne de Montmartre… en moins clinquant.
Mais le grand’ œuvre de Paul Yaki fut le musée qui vit le jour peu avant sa mort, en 1964. Rendant ainsi hommage à la Butte qui fut son véritable pays et les artistes, sa famille.
Autant dire qu’il était l’un des leurs, même si ses toiles et ses écrits sont tombés dans l’oubli. De Modigliani (qui fit son portrait au crayon) à Renoir -son voisin et ami- qui, durant cette période, peignit notamment le célèbre « Bal du Moulin de la Galette » et « La balançoire » ou encore Suzanne Valadon qui s’installa dans une maison de la rue Cortot avec son fils, le futur peintre Maurice Utrillo (qui vivra ensuite rue du Poteau, l’une des rues les plus commerçantes de Montmartre), et son compagnon, Utter. Une maison-atelier que l’on découvre encore en l’état, toiles et pinceaux n’ayant pas bougé. Devenu depuis, l’un des bâtiments qui composent ce musée. Les autres étant l’Hôtel Demarne, la Maison du Bel Air et le café Renoir.
Autant de lieux où le temps ne compte plus, entre expositions permanentes et temporaires. En ce moment, c’est le fauvisme qui est à l’honneur. Ses membres, dignes successeurs de l’Impressionisme: Pissarro, Braque, Dufy, Derain, Matisse…, se font moins tendres. Privilégiant les couleur vives -voire brutales- le fauvisme se rapproche de l’expressionnisme allemand des années 1910. Provoquant des émotions fortes.
L’occasion d’aller ensuite dans le jardin pour laisser s’apaiser sa tempête intérieure. Et oublier les pas lourds des touristes qui s’estompent, jusqu’à disparaître pour un calme enchanteur.
Et un peu plus bas, on aperçoit les fameuses « Vignes de Montmartre », présentes comme le maquis dès le Moyen-âge. L’occasion d’une semaine de festivités à l’automne, au moment des vendanges de ce qu’il faut bien appeler un vin de « très longue garde ». En clair, vous l’achetez pour faire œuvre caritative car il vous en coûtera quelques dizaines d’euros la demi-bouteille pour aider les associations montmartroises….mais je vous déconseille de la boire. Disons que c’est un souvenir…
Les Arènes de la Butte
En quittant le musée, il faut remonter un peu vers le funiculaire, cet étrange métro qui démarre place Saint-Pierre, longe le square Louise Michel, pour terminer tout en haut de la Butte. Sur votre droite, la dernière rue avant d’y arriver est la rue Chappe. Descendez les escaliers et, quelques instants plus tard, vous trouverez (encore à droite) une grille d’où l’on peut apercevoir une arène adossée à un jardin.
Jardin qui, auparavant fut entouré de bien d’autres vergers quand Montmartre n’était qu’un faubourg de Paris. L’on y cultivait fruits et légumes pour la noblesse installée dans des hôtels particuliers, aux abords du Louvre.
Arène, elle en a la forme et le nom. Référence à l’Antiquité, et le désir de l’association montmartroise les « P’tits Poulbots » (1) d’oublier la guerre, puisque nous sommes en 1941 quand elles sont créées, sur une partie où poussent des arbres fruitiers. Remplacés depuis par des oliviers, plus résistants.
En 1980, le ministère de la Culture en fait un espace culturel pour troupes d’amateurs ou… de jeunes professionnels comme les Arènes Lyriques ! Chaque année, entre juillet et août, plusieurs fois par semaine, cette association rassemble jeunes musiciens, chanteurs et chanteuses lyriques pour des concerts au soir tombé. Mais « sans chichi » : les spectateurs qui viennent maintenant chaque année, s’accordent avec sourire aux bancs de pierre, comme il se doit pour une arène. Juste un coussin, la beauté d’un air de la Traviata ou d’un mouvement de Rachmaninov, durant une heure et demie.
En observant discrètement les touristes qui s’arrêtent, nous regardent alors qu’ils passent à la recherche d’un restaurant, combien ont-ils souhaiter être avec nous ? Combien découvrent cet endroit que l’on n’attendait pas dans une ville comme Paris ? Se promettent-ils d’y venir ?… Je l’ignore.
Tout à coup je pense aux lilas et je me dis qu’ils ne sont pas tout à fait morts…
(1) Poulbot était le nom du peintre, au style reconnaissable entre tous, qui peignait les gamins de la Butte.