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L’Hôtel, de la reine Margot à Oscar Wilde

Rien ne prédisposait cette petite maison à s’installer dans l’Histoire, souvent tragique
Sans nom puisqu’ anonyme. Dans ce qui étaient alors, au XVIe siècle, les faubourgs sans âme de Paris. En face du palais du Louvre, mais si loin pourtant. Quartier de misère, un autre monde que celui qu’elle voyait de l’autre côté de l’île de la Cité où le pouvoir se disputait à coup de dague, de poison ou de noyade. Une maison de gueux, peut-être un bordel où les jeunes clercs fraîchement tonsurés venaient cacher leurs turpitudes alcoolisées entre deux catins aux mains lestes. Mais peut-être également de belles aristocrates venues combler leurs amants sans risquer l’exil de l’une et la mort par l’épée ou la hache de l’autre.
C’est dans ce contexte qu’à cette époque, un personnage entra dans l’Histoire avec la traîne sanglante d’une vie dissolue et de morts violentes. « De sang et de stupre » aurait pu orner son blason. Mais, sans doute, une femme qui se voulait libre jusqu’à en être rebelle. Marguerite de Valois que la postérité retiendra grâce à Alexandre Dumas sous le nom de « reine Margot » après son mariage avec Henri IV, ne se priva pas de transgresser toutes les règles. Prise qu’elle était dans le tourbillon d’une des périodes parmi les plus abjectes que l’histoire de France ait à se faire pardonner. Après avoir vécu un intense – et pourtant impossible – amour avec Henri de Lorraine, duc de Guise, dont la famille, farouchement catholique et violemment anti-protestants, s’affrontait aux Valois dont surtout elle contestait le pouvoir.
Margot fit de l’endroit l’épicentre de ses tentations sensuelles et… la mort de ses amants ; du moins ceux qui avaient eu l’arrogante bêtise de s’en vanter. Jusqu’à ce que, sa mère, Catherine de Médicis ait réussi à imposer son mariage avec le Béarnais. La fécondité de Marguerite disparue (probablement suite à ses excès), elle fut répudiée puis exilée en Auvergne durant vingt ans ; permettant au « Vert Galant » d’épouser la plantureuse, mais pas très finaude Marie de Médicis, qui était loin d’être aussi politique que sa tante Catherine, elle qui réussit à éviter, après la Saint-Barthélemy, une dévastatrice guerre civile. Ce qui aurait sûrement affaibli la France pour longtemps.
Après le vacarme, l’oubli.
En 1816, la masure fut reconstruite pour devenir un « Pavillon d’Amour ». L’esprit de Marguerite de Valois était toujours vivant. Pour s’en convaincre, il suffit de descendre l’escalier en pierre qui mène à un petit spa. Ces marches dans un couloir étroit, qui semblent ne pas vouloir finir, une petite piscine, les passages étroits et des murs épais offrant une certaine fraîcheur, même en plein été. Tout laisse imaginer oubliettes et cachots pour les imprudents qui voulaient butiner Margot.
En 1825, une voie s’ouvrait juste en face de l’hôtel de La Rochefoucauld. Devenue depuis « L’école des Beaux-Arts » où il fait bon se promener dans le jardin. Profitant sans doute de l’aubaine, les propriétaires rehaussèrent le bâtiment pour en faire un immeuble de six étages « à vocation hôtelière : « l’Hôtel d’Allemagne » qui sera ensuite appelé « Hôtel d’Alsace », la guerre avec la Prusse étant passée par là.
Puis ce fut à nouveau le déclin. Avec les bals du « Moulin rouge » et précédemment de « La Dame blanche », la construction de la « petite Athènes », les théâtres et l’Opéra-comique, entre autres, la fête était passée rive droite. C’est alors qu’un dandy irlandais nommé Oscar Wilde, au talent parfois sulfureux, mais plein de promesses dirait-on aujourd’hui, est la coqueluche du tout-Londres. Pour son talent d’écriture et ses formules qui font mouche ; aujourd’hui on parlerait de « punch line ». En 1883, il revient à Paris, qu’il avait connu dans son adolescence. Grâce à un jeune poète, Robert H Sherard (qui sera plus tard son biographe), il dîne chez Victor Hugo, passe de longs moments avec Marcel Proust, côtoie Pissarro et Degas… Rentré en Angleterre, il épouse l’année suivante la fille d’un riche conseiller de la reine Victoria. Façon pour lui d’éloigner les premières rumeurs sur une possible homosexualité et d’avoir un crédit sans limites. Puis vient l’un de ses livres majeurs : « Le portrait de Dorian Gray ». Oubliant le talent, la critique ne retient que l’atteinte aux bonnes mœurs de ce personnage qui ne cache pas sa préférence pour les garçons. Et tout s’enflamme quand l’affaire est clairement dévoilée par le père de son amant. À Londres comme ailleurs, on fait mine de s’offusquer et devant ces moeurs dissolues, on affirme haut et fort qu’on ne badine pas avec l’amour, dès lors que l’on sort des convenances. Oscar est condamné à deux ans de prison.
Sans doute écœuré par cette société qui voue aux gémonies aussi facilement qu’elle adule, il préfère repartir en France et s’installe dans notre fameux hôtel… redevenu une « masure » loin des fastes d’antan. Il y meurt en 1900 : « Je meurs comme j’ai vécu, largement au-dessus de mes moyens. ».
Conscient du potentiel, les propriétaires redonnent aux lieux un aspect plus adapté au Trente Glorieuses et « font le buzz » : « L’Hôtel », rue des Beaux-Arts, devient iconique. De Salvator Dali à Maryline Monroe, de Jean Cocteau à Grace Kelly, tous sont venus y dormir ou boire un verre à l’abri de la fureur du monde, et surtout des curieux.
En 2000, l‘Hôtel devient luxueux avec ses cinq étoiles et même glamour , grâce au célèbre architecte et décorateur Jacques Garcia.