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Angela Merkel avait eu quatre partenaires. Emmanuel Macron a diné avec son troisième. Ainsi va le couple franco-allemand, figure imposée que tous les dirigeants des deux rives du Rhin se doivent d’incarner. Macron-Scholz est mort, vive Emmanuel et Friedrich ! Ce nouveau couple démarre sous les meilleurs auspices.
Il bénéficie d’abord de l’effet de contraste : le précédent n’incarne aucune des actions décisives prises par les Européens ces trois dernières années – le dernier coup d’éclat du moteur franco-allemand remonte à l’emprunt européen et au colossal plan de relance anti-Covid. C’était en 2020. En politique européenne, Scholz n’a rien bloqué ; mais il n’a rien impulsé. La faute à son idéologie pacifiste, héritière de l’Ostpolitik de Brandt si caractéristique de son parti le SPD, dont il était personnellement imprégné.
La faute aussi à sa coalition bancale à trois partis : SPD, Verts, libéraux du FDP. Le grand discours de Scholz sur le changement d’époque qu’il prononça au Bundestag le 27 février 2022, s’il fit un grand effet, ne fut pas suivi d’effet. En matière d’aide militaire de l’Union européenne à l’Ukraine, Scholz avait toujours un temps de retard – alors même que l’Allemagne est bien le second pourvoyeur d’aide militaire à l’Ukraine, après les Etats-Unis et devant le Royaume-Uni.
On rappelle le titre de l’édito de Sylvie Kauffman dans Le Monde enjoignant le chancelier de libérer les Léopards. En clair, livrer à l’armée ukrainienne des chars de combats de fabrication allemande, de réputation mondiale (il a fini par le faire, mais comme à contre-cœur, craintivement). On rappelle ses atermoiements sur le sevrage des hydrocarbures russes (il a fini par le faire pour ne pas se retrouver sur la même photo que Orban puis Fico, les deux chefs de gouvernements européens notoirement illibéraux et pro-russes). On rappelle sa lenteur (certes relative, mais les temps étaient à l’urgence) à opérer la réforme du marché européen de l’énergie. L’UE a traîné le chancelier Scholz comme un boulet : lent et taiseux.
Un changement notoire
Merz s’est lui placé à l’avant-garde de la politique allemande et européenne. Il a tiré les conclusions de la nouvelle politique trumpiste avec une célérité et une netteté tranchante : la veille des élections législatives, il proposait que la force de dissuasion nucléaire française puisse protéger le territoire allemand et de l’Union Européenne. Difficile de tendre une main plus chaleureuse à Macron qui l’avait évoqué dans son discours de Münich en 2020, dans un silence alors assourdissant.
Ce faisant, Merz témoigne d’une sûreté de jugement et d’une acuité rares. Depuis 1949 et Adenauer, la démocratie-chrétienne allemande se caractérise par trois grandes convictions : l’économie sociale de marché, la construction européenne, l’atlantisme. C’est l’ancrage à l’Ouest et dans la démocratie libérale qui garantit à l’Allemagne d’être une nation prospère et en paix avec ses voisins dont, au premier chef, la France.
Merz a compris plus vite que tout le monde en Allemagne qu’avec Trump II, l’atlantisme était en crise majeure et sans doute mort, et qu’il fallait choisir entre l’atlantisme et la construction européenne – les deux jambes de la RFA depuis trois générations.
Merz connait les Etats-Unis et ses entrepreneurs mieux que tout autre dirigeant européen (il fut l’un d’eux). Avant même de prendre ses fonctions, il a tranché dans le vif et amputé : ce sera l’Europe de la Défense et la défense de l’Allemagne par l’Europe et le couple franco-allemand.

Enfin un véritable couple franco-allemand ?
Macron plaide pour une Europe de la défense depuis 2017 et son premier discours de la Sorbonne. Huit ans plus tard, sa vision est en phase avec l’époque et la situation : Trump est en train de mettre fin à 80 ans d’atlantisme (chacun pour soi dorénavant) et à préférer un axe complètement disruptif Trump-Poutine et Etats-Unis-Russie ; passant ainsi par pertes et profit la sécurité des Européens et la défense de l’Ukraine.
Pour autant, la dissuasion nucléaire n’est qu’un des deux volets de la sécurité des Européens lâchés par les Etats-Unis alors que la Russie fait la guerre à leur frontière. Le second est moins essentiel mais peut-être plus substantiel : les Européens, soudain vulnérables, vont-ils faire le choix de l’autosuffisance militaire ?
Il s’agit pour les Européens de se doter de capacités militaires complètes et interopérables entre eux indépendamment de la technologie, des composants et des armes venus des Etats-Unis (ou d’ailleurs).
Alors que les pays européens et leurs entreprises sont dans ce domaine mercantilistes et égoïstes, il s’agit donc de bâtir, pour ainsi dire de toutes pièces, une industrie de défense européenne coordonnée, qui couvre la totalité des besoins.
Il s’agit de bâtir une puissance publique qui, à l’échelle européenne, oriente cette industrie à venir par son engagement et ses commandes de long terme – ce qui suppose, là aussi, une coordination au cordeau à Bruxelles. Cet objectif demande de la constance, de la détermination et une volonté à toute épreuve – une volonté de fer. Ce sera le test en grand sur la nature du nouveau couple Macron-Merz.