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Surtourisme ! Ce mot fabriqué pour l’occasion évoque bien la cohorte, toujours grandissante, de personnes en bermudas et t-shirts plus ou moins propres, qui envahissent Paris ; dès le printemps maintenant, effet Jeux Olympiques et canicules récurrentes obligent. Mettant les Parisiens que nous sommes dans une attitude ambivalente : ravis que leur argent fasse vivre beaucoup de commerces, mais agacés de les voir s’amalgamer quelques secondes devant la Joconde, le temps d’un selfie et repartir aussi sec. Provoquer des bouchons piétonniers à la Tour Eiffel ou aux Champs-Élysées. À l’instar de Venise, Rome, Athènes, Barcelone ou encore Florence et bien d’autres… Pourtant Paris, la ville où je suis né, cache tellement d’endroits aussi beaux qu’inattendus que l’on pourrait passer des semaines à les trouver et tomber sous leur charme. À condition toutefois d’aimer vraiment notre ville, malgré ses défauts. Rapide florilège de nos trésors cachés. Aujourd’hui, le village de la Mouzaïa.
La Mouzaïa

Paris, 1830
L’empire Ottoman commence son long – et parfois douloureux – déclin. Le roi Charles X, conseillé par Polignac et son extrême-droite, qu’on surnomme « les ultras », veulent leur part dans le festin des grandes puissances qui vont littéralement dépecer l’Afrique. Faisant perdre au continent presque deux siècles de retard dans son développement.
Une terre, à la fois proche et riche, est la proie choisie : l’Algérie. Trois ans après le soufflet que reçut l’ambassadeur de France auprès du Bey d’Alger, le piège ayant bien fonctionné, la conquête commence.
Un point stratégique est très vite disputé entre les troupes françaises et la résistance algérienne réunis autour de l’émir Abd el-Kader, adversaire aussi talentueux que respecté. Il faudra dix ans pour conquérir définitivement le col de Mouzaïa. Bataille qui donna son nom à une rue du dix-neuvième arrondissement, en aplomb du magnifique parc des Buttes-Chaumont.
À l’origine, cet endroit de Paris était installé sur les gisements de gypse de la butte de Beauregard, dans la commune de Belleville. Que l’on nomma également les « Carrières d’Amérique ». La légende voulait qu’une partie des gisements soit envoyée de l’autre côté de l’Atlantique. Une belle leçon sur l’amitié des peuples mais… une histoire fausse. Paris avait trop besoin de ces carrières de gypse. La capitale était en train de se reconstruire sous le Second Empire et les carrières étaient exploitées au seul bénéfice de ses habitants. Puis, une fois les carrières en question épuisées, Jacques Montréage, ancien conseiller municipal de Belleville et propriétaire du terrain, créa en 1875, avec quelques actionnaires, la « Société des marchés aux chevaux et aux fourrages de Paris », à charge pour eux de viabiliser le terrain. Las, la société périclita quelque temps plus tard. Les créanciers récupérèrent les lieux et réaménagèrent toute cette partie de l’arrondissement afin d’en faire, avec l’assentiment de la ville de Paris, des lotissements pour des « habitations à bon marché » afin de profiter des prêts de la Caisse des dépôts à taux réduits, prévus par la loi Siegfried du 30 novembre 1894 (1).
Mais avec toutefois des contraintes de surface tant l’instabilité des sous-sols sous des buttes comme Beauregard ou Belleville sont de véritables gruyères. Par ailleurs, pour les mêmes contraintes, en fonction des emplacements ces maisons ne peuvent avoir qu’un étage et des dimensions précises : une largeur sur rue entre 4 mètres et 7 mètres et une profondeur allant de 8,45 mètres jusqu’à 13,75 mètres.
C’est ainsi qu’en quarante ans (1880-1920), naît tout un village que les Parisiens nommeront « Le village de la Mouzaïa » ; empruntant ainsi le nom de la rue qui traverse tout un ensemble de petites ruelles qu’on ne s’attend pas à voir dans le Paris d’aujourd’hui.
Quand on sort du métro Botzaris (héros de l’indépendance de la Grèce en 1820), la rue Mouzaïa est légèrement sur votre droite. Une rue de peu d’intérêt a priori. A priori seulement car, de part et d’autre de cette rue, sont perpendiculairement lovées des allées qui forment autant de petits villages aux maisons sages. Toutes ensemble, elles composent un vaste triangle où chaque allée a son propre nom : Villa du Progrès, Villa de la Renaissance, Villa d’Alsace, Villa Félix Faure ou Carnot… Une dizaine de passages sont ainsi cachés dans ce quartier -de moins en moins- populaire. Le tout encadré par les rues de la Liberté et de L’égalité au Nord et la rue de Bellevue au Sud. Le tout fleurant bon les luttes sociales et l’humanisme d’entrepreneurs loin des caricatures du bourgeois égoïste et sans cœur ; même si, à cette époque, le chemin allait s’avérer bien plus long.
Reste que ces petites voies tranquilles vous transportent très vite dans une autre époque où l’espoir n’était pas un vain mot. Si ce n’est, toutefois que ce quartier, désormais très convoité, compte sans doute peu, voire pas du tout, d’ouvriers comme ceux qui pouvaient s’y loger avec leur famille en 1880.
Reste également que la Mouzaïa n’est qu’un exemple parmi bien d’autres où se cachent ces « petits coins de paradis ». De la rue de la Colonie, dans le 13ème, la place de la Croix Rouge ou « la Butte aux cailles », au « village d’Auteuil » dans le 16ème en passant par le village des Épinettes dans le 17ème, Paris regorge de ces endroits magiques où l’on peut se poser quelques instants.
A voir ces petits coins de paradis, on nuance le titre de la grande Simone Signoret pour son autobiographie : encore aujourd’hui, la nostalgie reste quand même un peu ce qu’elle était… (2).
(1) Jules Siegfried, né le 12 février 1837 à Mulhouse et mort le 26 septembre 1922 au Havre, est un entrepreneur et homme politique français. Député et conseiller général de la « Seine-Inférieure », Sénateur puis Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies (du 6 décembre 1892 au 30 mars 1893). Préoccupé par le sort des plus pauvres et œuvrant pour la prospérité de son pays, il chercha également à promouvoir l’habitat social avec la « Loi du 30 novembre 1894 » qui porte son nom et encourage la création d’organismes d’habitations à bon marché.
(2) Simone Signoret « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était » (Éditions du Seuil, 1974)