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Pour sa dernière contribution de l’année 2025 pour Sans Doute, Karim Beylouni, avocat pénaliste, ancien secrétaire de la conférence du stage, revient pour nos lecteurs sur un sujet que personne ne veut regarder en face : comment avons nous pu collectivement laisser l’institution prison se transformer en enfer carcéral, qui au lieu de garantir la vertu éducative de la peine, fabrique de la récidive ? Loin des effets de manche dans les prétoires, des coups de menton proférés sur les chaines d’info en continu et des effets d’annonce à l’Assemblée Nationale, notre auteur nous propose de regarder la réalité et elle n’est pas belle à voir…
Il remonte la rue qui le mène vers sa première année de collège. Il n’a pas plus de 11 ans.
Le cartable pèse sur ses épaules, plus lourdement que d’habitude.
Dans la cour de récréation, ses camarades jouent ou discutent gaiement, en attendant que la cloche ne les appelle à leurs classes.
Il se tient au milieu d’eux, silencieux, totalement étranger à ces cris de joie, à cette parfaite insouciance à laquelle il lui semble ne plus avoir droit.
Il sent dorénavant qu’il est passé dans la clandestinité, immigré dans un monde dont il n’a pas les codes, dont il ne peut être qu’un spectateur silencieux, habité par l’obsession de se faire le plus discret possible. Surtout ne pas être vu.
Il fait l’apprentissage du silence qui vaut mieux que la vérité.
La honte de ses parents a rejailli sur lui. Par les liens du sang. Le mauvais sang du père coule dans ses veines. La tâche du père déteint sur le fils.
Elle se transmet, comme les gênes, la taille, la chevelure, les traits se transmettent. La honte est son héritage.
On ne lui a pas demandé s’il acceptait de porter ce lourd cartable. On l’a fixé sur ses épaules encore frêles, sans lui demander son avis.
Il a appris la veille que son père n’était pas en voyage d’affaires à l’étranger comme on le lui a fait croire si longtemps.
Il était bien à l’étranger. On a juste omis de lui dire qu’il était incarcéré.
Alors bien sûr son père n’est pas Nicolas Sarkozy. Son incarcération n’a jamais ameuté une foule de fidèles. Il n’a jamais eu les honneurs ni les privilèges de la Santé.
Son père n’en a pas mois rejoint le peuple de démons qui hantent les prisons.
On compte près de 80.000 détenus aujourd’hui en France, pour seulement 62.000 places. Une surpopulation de près de 130% en moyenne. 160% dans certaines maisons d’arrêts et même parfois 200%.
Fleury Mérogis, Nîmes, Béziers, Avignon-Le Pontet…
En 2000, lorsque le Sénat rendait ses conclusions sur l’état des prisons en France, il a fini par intitulé son rapport : Prisons – La Honte de la République. Tout le contenu résumé dans un titre.
Les détenus partagent à 4 ou 5 dans des cellules insalubres de 8 m2 à peine conçues pour deux occupants. Il y a parfois peu ou pas de place pour circuler. Pas d’espace pour protéger son intimité. Un trou parfois au milieu de la cellule, sans cloison. Une promiscuité permanente. Les fenêtres ne sont pas isolées, lorsqu’elles ne sont pas cassées. On y gèle en hiver et suffoque en été.
En 2002, à la prison de la Santé, on comptait 1 douche pour 100 détenus. Plus de 20 ans après, les murs sont toujours couverts de salpêtres. L’accès à l’eau chaude est limité. Les cafards, rats et punaises de lit sont les compagnons les plus prolifiques.

De la France à la Bulgarie, où se trouve son père, les prisons se ressemblent.
Les cafards qui sortent des murs humides sont les mêmes. Le salpêtre est le même.
La nourriture y est tout aussi infecte : soupes, pommes de terre, pâtes. Parfois un peu de viande ou de poisson. Des fruits et légumes frais en quantité insuffisante. Alors on bourre les détenus de pain, pour caler la faim.
La tuberculose, les maladies respiratoires, les problèmes dermatologiques, gastro-intestinaux, les détresses psychologiques, le bruit et les cris permanents sont aussi les mêmes.
Il y fait juste plus froid.
Et que dire des détenus placés à l’isolement, privés de lumières, d’exercice, de tout contact sensoriel ou social ?
Michel Vaujour était le roi de l’évasion. La première fois il s’est fait la malle après avoir reconstitué à la lime la clef de sa cellule dont il avait pris l’empreinte sur le trousseau de son gardien à l’aide de l’emballage en cire du fromage Babybel. Une autre fois, il a pris en otage un juge d’instruction à l’aide d’un pistolet factice sculpté dans du savon noirci au cirage ; jusqu’à sa spectaculaire évasion en hélicoptère de la prison de la Santé le 26 mai 1986.
Placé à l’isolement pendant 17 ans, coupé du monde, il s’accroche des années durant en fixant un point sur le mur de sa cellule pour ne pas s’oublier et se souvenir qu’il existait encore…avant son isolement.
Plus récemment, en 2025, la Chambre d’application des peines de Cour d’appel de Douai a jugé que les conditions de détention de Redoine Faïd, placé et maintenu à l’isolement depuis 12 ans étaient contraires à la dignité humaine.
Tout ceci n’intéresse pas grand monde. La dignité des détenus. L’enfer carcéral. La réinsertion, la vertu éducative de la peine.
La République ne va tout de même pas offrir à ces misérables un séjour confortable. De toute façon, avec une dette publique de plus de 3.000 milliards d’euros, soit 114% de son PIB, elle n’en a pas les moyens. Le respect de la dignité a un coût et la République est sans le sou.
Alors tant pis si on en fait des bêtes furieuses. Tant pis si le taux de récidive après une première condamnation s’élève à 35% selon la dernière étude du service de la statistique, des études et de la recherche du Ministère de la Justice publiée en avril 2025.
Tant pis si – selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) portant sur la période 2005-2019 – le taux de récidive a augmenté avec le nombre de condamnations, la proportion de récidivistes augmentant aussi bien en matière délictuelle (+ 8 points) que criminelle (+ 5 points).
Le fer de l’infâmie doit brûler le plus profondément possible leur chair et celle de leurs familles.
Pour elles, la peine est invisible. Elle est silencieuse et n’en finit pas.
La peine que purge le père de cet enfant ne se limite pas à son isolement physique. Elle est un stigmate social. Elle sévit au-delà l’enceinte de la prison, jusque dans cette cour de récréation où le fils devient à ton tour un misérable.
Ils sont 140.000 enfants de détenus à emprunter chaque année le chemin de l’école avec ce cartable sur le dos, la honte au front.
La honte de la République qui est devenue la leur.